L'Eglise Aristotelicienne Romaine The Roman and Aristotelic Church

[Landry.]

Légèrement perdu dans les dédales de Rome, il finit par trouver ce qui semble être le lieu dévoué aux demandes de dissolution de mariage.

[Adelene]

On avait apporté une demande sur le bureau du Cardinal Kermabon. Après un bref examen des éléments, ce dernier se contenta de réclamer que les deux époux en question, Raquel de Mortemart-Amnell et Landry Baccard se présentent dès que possible à la Rote pour un entretien avec le Cardinal. Une telle disposition était désormais d'usage afin de pouvoir mieux apprécier la situation.

Après que l'information fut transmise, le Cardinal retourna à ses affaires, se tenant prêt à recevoir les deux époux.
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Primat de France
Cardinal Diacre de Saint Nicomaque de l'Esquilin
Archevêque de Paris et de Malines
Préfet Général de la Chambre Apostolique

[Raquel.]

Faisait-il beau? Non. Comme à l'habitude, pourrait-on dire. C'est donc enrobée dans une large robe et recouverte d'un mantel de fourrure que la Doña de Sainte Colombe fit son entrée dans l'endroit saint.

Landry était déjà là. Un sourire, une étreinte amicale, et une main posée sur son avant-bras.

Bonjorn Landry. Savoie ou pas?

Hé oui, la pauvrette avait l'humour pourrave, parfois.

Bien. C'est donc ici que nous devons attendre pour être reçus? Jolie architecture.

Faut bien combler, en attendant de pouvoir faire une collation qui lui comblerait le beudon.

[Landry.]

La voilà ! L'amie épousée.

Ah te voici ! C'est ici oui, charmant en effet. Comment vas-tu ?

Voilà voilà. Aucun trait d'humour ne lui vient en réponse au sien, il se contente donc d'observer l'architecture en guise d'attente.

[Raquel.]

La main se glissa dans sa besace, pour en sortir un petit sachet de toile empli de pistaches. Elle en proposa à Landry, puis en mangea quelques unes, sans déposer de miette sur le sol, et surtout à ne pas avoir à les décortiquer.

Cela était déjà fait.

Je vais, je vais.

Les Voix du Très-Haut semblent réellement impénétrable. Je vais m'asseoir, là en attendant.

Et de prendre place sur un banc, la faim lui tiraillant le ventre. Célestine lui avait interdit d'emmener un casse-dalle, donc elle souffrirait en silence.

[Adelene]

Il avait fallu du temps au Cardinal pour arriver, lui qui ne se départissait plus de sa canne pour avancer, malgré son très jeune âge. Il prit place face aux deux époux avant de s'exprimer.

Je vous remercie d'être présents tous deux. Je suis le Cardinal Adelène de Kermabon, Premier Auditeur de la Rote, et je suis en charge de traiter votre demande. Votre demande de...

Un coup d'oeil au dossier...

... dissolution. Au motif de disparition des sentiments amoureux.

Il se pencha vers les deux époux, d'un oeil noir.

Votre mariage n'a que quatre mois, et alors que la célébration doit, j'imagine, encore vibrer dans vos mémoires, vous renoncer déjà à tous les efforts que l'on pourrait attendre de personnes qui, mutuellement, se sont engagées l'une envers l'autre ? Vos serments n'ont-ils donc aucune valeur ?

Il était réputé pour être un Cardinal doux comme un agneau, un clerc patient, compréhensif et bienveillant. Mais sans doute s'était-il levé d'un mauvais pied, ou bien était-ce la douleur qui lui arrachait tant de crispation.

Il se replongea dans le dossier, et poursuivit.

J'attends que vous m'expliquiez chacun votre tour ce qui se loge au plus profond de votre âme, pour un tel revirement, aussi brutal, à peine quatre mois après votre engagement solennel. N'avez-vous rien tenté pour sauver votre ménage ? Rien ne peut-il encore être tenté ?

Puis se penchant de nouveau, cette fois-ci avec les deux yeux noirs, la bouche crispée, légèrement écumeuse, et d'une voix très grave.

Comment des sentiments pourraient disparaître aussi vite ? N'y a t'il pas là-dessous une autre raison que vous tenteriez de dissimuler ? L'un de vos deux aurait-il fauté ? Y a t'il quelque chose qui manquerait à cette demande, comme par exemple une explication claire et franche ?

Il se rassit sans quitter du regard les deux époux.
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Primat de France
Cardinal Diacre de Saint Nicomaque de l'Esquilin
Archevêque de Paris et de Malines
Préfet Général de la Chambre Apostolique

[Raquel.]

Quelques pistaches furent dévorées, on les conduit dans un bureau et ils n'eurent pas long à attendre. L'ecclésiaste fit son entrée, et les présentations d'usage furent faites. Le type semblait au fait du dossier, ayant besoin d'un jeter un œil avant de poursuive.

Encantada Raquel Baccard.

Le prononcer lui était toujours incongru, tant elle ne l'usitait que peu. L'ecclésiaste sembla s'agiter un peu, gronder, les fâcher comme s'ils avaient cinq ans d'âge - sans insulter les alcools de cet âge, bien sûr - et laisser l'Andalouse un tantinet indifférente, il faut l'avouer. Si elle avait été ingérable étant enfant, à l'orphelinat, elle le serait forcément en tant qu'adulte. Elle regarda son époux, lui sourit affectueusement et prit la parole. D'une voix ferme. C'est qu'elle ne s'en laisserait pas compter, toute pêcheresse qu'elle était. Purée il avait tout de même le visage déformé, là. Par la douleur, à la canne qui supportait son poids, ou bien n'était-il qu'une haineuse créature? Moche tout de même pour un représentant du taulier suprême.

Notre mariage n'a en effet que quatre mois, mais nous nous fréquentons depuis le mois de mai. Nous sommes amis depuis bien plus longtemps que cela d'ailleurs, nous nous sommes fréquemment perdus de vue.
A nous revoir, ma foy, était-ce la joie de retrouver quelqu'un avec qui l'entente était cordiale, avec qui les journées passaient à peine en une heure, à avoir des projets qui semblaient se rejoindre, que nous avons cru que cela tenait de l'amour? Je ne sais.

Me suis-je rendu compte que cet attachement s'essoufflait? Non. Nous préparions mon baptême, et pris dans la frénésie de la préparation d'un mariage que nous désirions avant la fin de l'année, nous n'avons pas pris le temps, sans doute, de faire le point. Avec le recul, je pense que nous aurions du attendre avant nos épousailles, être plus réfléchis et posés.

Une interruption, pour reprendre son souffle, et rassembler ses pensées.

Nous avons passé de belles semaines, dans les montagnes du Lyonnais-Dauphiné, entourés de nos amis. Et au retour à Lyon, j'ai pris conscience qu'être mariée ne me rendait pas aussi joyeuse que d'autres femmes. Que nous avions des projets, mais qu'ils commençaient à différer, qu'en fait, j'aimais 'bien' mon mari, mais.. C'est assez difficile à expliquer, en fait, mais que d'un côté Landry était occupé à ses affaires politiques, que le poids d'être une Baccard me semblait, là, plus lourd à porter. Une prise de conscience bien trop tardive, j'en conviens. Nous nous sommes éloignés. Le silence a fait place aux rires. Sale période.

Ouep, laide comme un pou, cte période. De la tristesse, des larmes… Le contrecoup de leur vie trépidante, à traîner sur les routes, depuis leur rencontre? Sans nul doute.

Décision a été prise de nous donner du temps, et de prendre un peu de recul sur ce qui semblait se passer. Et il est apparut que nous retrouvions, sous le signe de l'amitié, une relation bien plus agréable qu'en étant à être époux. Des discussions, des courriers plus légers. L'évidence était là. Nous avons mené, donc, une vie en étant séparés, ce qui me convenait bien.

Puis. Dissimulation, ce n'est pas le mot à employer vous savez. J'ai en effet rencontré un homme, et nous avons développé, l'un pour l'autre, des sentiments. Notre mariage n'était plus que bonne entente, il me semble normal de nous offrir la liberté d'être heureux auprès d'une autre personne.

Fauter après une séparation, c'est un demi-péché? Sans doute pas pour l'Ecclésiaste, mais voilà, exposée, la raison de leur venue en ces lieux saints.

[Landry.]

Il faut admettre qu’il se laisse un peu dépasser et par l’agressivité manifeste du Primat, et par la réponse immédiate de son épouse. Il les observe l’un et l’autre comme s’il n’était pas vraiment issu du même tableau qu’eux. Après un temps de latence, il finit par briser le silence installé en essayant de paraître le plus indifférent possible.

Vous conviendrez que dans ma position d’héritier, il n’est pas acceptable de laisser mon épouse fréquenter un autre homme. Mais cette amitié qui nous lie m’empêche également de l’enfermer dans l’un de nos domaines, aussi me semble t-il plus aristotélicien de lui rendre sa liberté afin qu’elle puisse être enfin heureuse. J’ai largement sous-estimé le poids de mon nom et je n’ai pas su voir que je la condamnais à un quotidien qui ne lui convient pas. Je suis d’accord sur le fait que nous aurions dû prendre le temps de réfléchir avant de nous engager ainsi et j’admets avoir failli à mes devoirs d’époux en faisant passer mon nom et les affaires politiques avant le bien de mon épouse. J'ai comme elle pensé à des sentiments amoureux, sans doute par soulagement de faire enfin la fierté de ma famille, mais il me paraît évident maintenant qu'il ne s'agissait que d'une belle et réconfortante amitié.

Il jette un œil à Raquel, rapide, puis se tait.