L'Eglise Aristotelicienne Romaine The Roman and Aristotelic Church

[Laodin]

-----L'instinct de Laodin avait parlé... ou son sixième sens, ou son extra-lucidité du moment, ou quoi que ce fût d'autre qui faisait spectaculaire dans le nom. Ayant souvent peur de se tromper, il prenait peu de risques, aussi y avait-il quelque chose de presque exceptionnel à celui-ci. Il aurait suffi de tomber sur un archevêque un peu susceptible et patatras, la séance de confession se serait achevée avant même de commencer... Cependant, quelque chose lui avait fait penser qu'il était sur la bonne voie, peut-être dans la façon d'entrer qui lui évoquait une certaine sensibilité.

-----C'était la chance du débutant, ou alors de l'initié vu qu'il n'en était plus à sa première séance en ces lieux. La chance, qui lui "apporta" aussi l'une de ses plus proches amies : Melo, bien que cela ne fût pas non plus une raison de se réjouir. Si elle était venue ici, c'était parce qu'elle se sentait mal, ou nourrissait un doute dont elle ne pouvait parler en public.

-----En conséquence, cet entretien serait probablement beaucoup moins joyeux que les autres fois, même si ces derniers temps ne les avaient pas vraiment gâtés. Cela demanderait aussi à Laodin de ne pas être trop partial, comme pour Blanche, comme pour Cyphus. L'amitié qu'il avait pour elle se ressentirait, mais elle ne devrait pas pour autant altérer son jugement - certes toujours imparfait. C'était la dure loi du confessionnal, qu'il devait se répéter à chaque fois qu'il entrait ici.

-----Il l'écouta, peu surpris de ce qu'il entendit. Elle lui avait déjà confié, quelque temps auparavant, ses difficultés, cet ennui qui semblait la submerger et qui l'emporterait peut-être avec lui. Il avait même cru son départ déjà acté, avant qu'elle ne laissât une toute petite fenêtre d'espoir. Il en avait conclu ceci : s'il ne parvenait pas à la remotiver avant la fin du mandat actuel, tous auraient à subir la perte de l'un des meilleurs éléments de leur Église, ainsi qu'une personne formidable. Il lui avait donc proposé des projets, des activités même sans lien avec la foi... Mais pour elle, l'envie n'y était pas, affectée par la mise en retranchement d'une autre personne. Il ne savait donc plus quoi faire, et il n'avait pas vraiment le droit d'en parler autour de lui. Si le pire scénario se confirmait, les autres seraient surpris mais pas lui. L'avenir lui faisait peur, le présent était inquiétant, et le passé, seul, devenait un réconfort, à condition de ne pas fouiller trop loin. Melo était fantastique, et la voir aussi déprimée avait le même effet que de contempler la pluie le jour où aurait dû briller le soleil.

-----C'était peut-être sa dernière chance de lui faire quitter cet état, or les événements n'étaient pas vraiment en sa faveur. A titre personnel, elle avait vécu deux grands chocs, et à titre professionnel, les choses allaient plutôt dans le sens contraire du mieux. Si, en plus, elle se sentait peu appréciée et soutenue... Laodin n'avait pas du tout cette impression, mais son point de vue n'était pas forcément la vérité. Il fallait, pourtant, qu'il l'en convainquît, parce que cela lui faisait mal de la voir - l'entendre - ainsi, et que c'était la bonne chose à faire. Même dans le cas où il se tromperait, que tous les autres clercs la regardaient avec mépris, il lui confirmerait qu'au moins une personne tenait à elle, en plus de son père.

------ Solitude, lassitude... Nos pires ennemis, plus encore que l'hérésie... Si nous étions tous unis, et motivés comme jamais, aucun apôtre du Sans-Nom ne parviendrait à nous faire taire. La solitude et la lassitude, si... On peut honorer le Très-Haut, être investi dans sa mission, et pourtant ressentir le vide autour de soi, comme si notre église se trouvait au milieu d'un désert. Je l'ai vu chez les plus jeunes d'entre nous, je l'ai vu chez les plus anciens d'entre nous, et je l'ai même ressenti à certains moments, bien que j'aie toujours réussi à m'en relever. Cela nous concerne tous, vraiment.

-----» Je n'ai pas de clef pour lutter contre ces maux, pas de solution clairement définie. Je pourrais vous dire qu'il suffit de commencer de nouveaux projets, sans rester éternellement sur le même en cours... Que le plaisir revient avec la découverte, en refusant de s'enfermer dans une routine... Que les apôtres du messie eux-mêmes ne s'ennuyèrent jamais, puisqu'ils avaient toujours une mission à accomplir... Cependant, on vous a déjà dit ceci puisque ce sont ces mêmes raisons qui vous ont décidée à accepter la charge de Primat.

-----» Hélas, je pense que la charge de Primat, justement, reste bien trop proche de ce que vous connaissiez déjà : de plus hautes responsabilités certes, mais qui ne diffèrent pas tellement du travail que vous accomplissiez jusqu'alors. Il s'agit toujours de vérifier au bon renouvellement des mandats In Gratebus, de veiller à ce que tout aille bien dans la primatie, de réagir à certains événements... Vous n'étiez pas vraiment dépaysée, pour ainsi dire. Ne ressentant plus de plaisir en tant que simple membre de l'AEF, vous ne risquiez pas de rallumer la flamme en faisant encore davantage pour celle-ci. De plus, vous n'avez même pas le sentiment d'être indispensable ou même appréciée. Pourtant, vous l'êtes ! Je sors un peu de mon rôle de confesseur, mais vous l'êtes. Votre importance a toujours été soulignée lorsque vous étiez secrétaire par les différents Primats, et vous ne faites certainement pas moins bien depuis que vous êtes vous-même devenue Primat. La primatie ne serait pas allée bien loin sans vous durant une certaine crise, où vous aviez accompli un travail colossal. Personne n'a jamais minimisé votre apport, vous avez toujours été reconnue à votre juste valeur.

-----» Il est normal de ne pas être au courant de tout ; le territoire d'une primatie est grand, il faudrait avoir au moins deux paires d'yeux supplémentaires, et quatre mains en plus. C'est pour ne pas ressembler à un monde issu des anciennes mythologies que vos confrères existent, qui transmettront ce qu'ils savent de la situation actuelle. Les rois de France non plus ne savent pas tout, et laissent parfois leurs subordonnés régler certains problèmes à leur place ! Mais, vous avez raison, tout ceci devrait vous être systématiquement communiqué. Rassurez-vous, ce n'est pas parce qu'on vous trouve inutile ou détestable qu'une telle chose se produit, bien que je ne m'en sois jamais rendu compte. Un manque de communication vient, en toute logique, d'un problème de communication sur ce manque de communication. Si vous pensez que j'ai par exemple manqué de vous avertir de certaines choses, dites-le-moi - je m'améliorerai. Nous sommes censés vous aider dans votre tâche, non pas vous remplacer. Vous n'êtes pas interchangeable, vous êtes unique, bien que la charge même de Primat ait été prévue pour s'adapter à tout le monde. Personne ne vous ressemble, mais dans ce système précis tout le monde vous ressemble. D'un point de vue fonctionnel, vous êtes tout à fait identique à vos prédécesseurs, mais d'un point de vue identitaire vous êtes vous, avec la possibilité de vous distinguer.

-----» Dans votre candidature, si vous me permettez de revenir dessus, vous disiez ne pas vouloir révolutionner les choses... C'est en cela, je pense, que vous vous êtes quelque part condamnée à l'ennui, car vous partiez sans projet. Cela aurait été sans importance si vous n'aviez pas eu besoin de vous donner de nouveaux objectifs, si vous étiez déjà comblée dans votre mission. Cela n'a donc fait qu'accentuer le problème. Entre la charge maintenant obsolète de secrétaire primatiale et celle de Primat, il n'y a finalement de différence que celle que vous voulez imprimer. Vous pouvez tout autant choisir de faire de l'administratif, ou de mener à bien des projets avec l'ensemble des clercs... Une messe commune, une procession à l'occasion d'une fête religieuse, ou pour être plus original et ne pas tomber dans quelque chose que l'on fait déjà, inventer des activités à mettre en place pour les fidèles, même farfelues du moment que cela se justifie théologiquement... L'imagination est la seule limite... Et, si vous n'avez pas du tout d'idées, la solution peut venir des autres, car si vous êtes notre cheffe, vous n'êtes pas toute seule.

-----» J'ai eu des baisses de motivation, moi aussi... Et même une grande, qui m'avait conduit à démissionner... C'était une époque où je ne me sentais à l'aise ni dans mon diocèse, ni à l'AEF. Puis - mais vous connaissez l'histoire -, j'ai fini par candidater de nouveau à une charge épiscopale, et la deuxième fois aura été la bonne. Bonne, surtout parce que je suis enfin parvenu à me faire une place à l'AEF... Dans mon diocèse, j'aurais aisément matière à m'ennuyer, mais c'est l'AEF, et mes activités extra-diocésaines qui me permettent de ne pas éprouver cela. Si on s'ennuie quelque part, mais qu'on est stimulé ailleurs socialement, alors il devient facile de passer outre les difficultés. Par conséquent, qu'en est-il de la situation dans votre diocèse, ou même votre comté ? Vous y sentez-vous intégrée ? Si Rome ne peut fournir le carburant essentiel à votre motivation, le contact avec les laïcs le pourra certainement.

-----Cela était en supposant, bien sûr, que la dépopulation n'avait pas trop frappé la région où elle avait choisi d'emménager. Parfois, il fallait de l'amour et beaucoup d'acharnement pour s'épanouir en un lieu donné... Un nouveau clerc lui avait récemment confirmé ce fait, qui tendait à s'accroître. L'avenir de l'Église serait-il nomade et non plus sédentaire ? Le système des diocèses tel qu'actuellement conçu serait-il toujours viable ? En tout cas, il fallait s'efforcer de sauver les meubles, et garder les plus belles personnes à leurs côtés.

------ Vous êtes notre Sœur... Vous comptez pour nous, pour moi en tout cas, et je n'ai pas souvenir d'avoir entendu une seule parole négative à votre égard. C'est toujours possible, mais je n'étais pas là. Peut-être avez-vous de bonnes raisons de dire que vous vous sentez méprisée, que des mots ou des regards vous ont blessée... Je sens de l'agacement dans votre voix, cela attire mon attention. Nous vous aimons, je pense, je crois, j'espère, mais il y a beaucoup de choses que j'ignore. Avez-vous réellement senti du mépris autour de vous ?
_________________

[Melo03]

On peut honorer le Très-Haut, être investi dans sa mission, et pourtant ressentir le vide autour de soi

Melo acquiesça même s'il ne put la voir.
La primat l'écouta. Elle savait son travail comme secrétaire reconnue, même si le Sans Nom l'avait fait longtemps douté. Peut-être agissait-il encore d'ailleurs ?

Oh non, je trouve que la communication entre nous est parfaite, n'en doutez pas, je ne disais pas cela pour vous.

Laodin raconta toutes ses activités pour éviter de s'ennuyer.

J'ai su m'occuper pendant des années. J'ai commencé au bas de l'échelle comme diacre, à faire que des cérémonies. A animer la gargote, animer les tavernes. Quand cela a commencé à s'essouffler, je me suis dirigée vers Rome comme secrétaire primatiale. Puis professeure à St Benoît, vice-doyenne et doyenne. Je me suis investie à la chambre et finalement Primat... Je n'ai jamais peiné pour éviter l'ennui... J'ai toujours su alimenter ma curiosité mais là... je sèche.

Évidemment, tous les deux sentaient la présence silencieuse d'Adelene au-dessus du confesse. Adelene qui l'avait trahi, une fois de plus. Il lui avait promis d'être là pour l'aider quand elle serait Primat, comme elle l'avait aidé quand il l'était... Promesse trahie, une de plus. Adelene parti sans un mot, sans un regard, sans la tenir au courant. Adelene qui avait fait voler ses vœux en éclat pour s'enfuir sans même daigner l'informer. Cette trahison n'avait certes pas aidé à ce qu'elle se sente appréciée.

Laodin souhaitait des exemples où elle s'était sentie méprisée. Ça tombait bien la goutte d'eau était encore vive dans son esprit.

Un exemple récent : Piei. Pensez-vous qu'il soit normal que je ne sois pas au courant que son "cas"

Par le Très Haut qu'elle détestait ce terme, surtout pour désigner quelqu'un qu'elle avait fini par respecter.

soit étudié plus haut ? Imaginez que j'ai communiqué l'annonce sans en référer à l'AEF d'abord ? Car j'aurai pu, vu qu'il s'agit d'une démission. Si ce n'est pas un manque de respect envers moi... Mais le plus dur, c'est que d'autres savaient, alors même qu'ils ne sont pas plus cardinal que vous et moi...
Comment ne pas se sentir mise de côté, dépréciée ?
_________________

[Laodin]

-----Finalement, Melo avait trouvé le moyen de le surprendre : il ne s'était pas attendu à ce qu'elle fût si affectée par les révélations soudaines du Sacré-Collège, qui ne l'avaient personnellement pas du tout choqué. Ils n'étaient pas censés tout savoir, et ne découvraient ce genre d'élément que lorsque cela s'avérait nécessaire, comme ici. Le départ de Pie avait bien plus été un motif à se lamenter, et à se demander comment on en était arrivé là. Malgré tout, il fallait se mettre à la place de Melo, dont les responsabilités élevées lui faisaient logiquement ressentir un besoin urgent d'information :

------ Je n'étais pas au courant que d'autres, ne faisant pas partie du Sacré-Collège savaient déjà ce qui s'y produisait concernant cette affaire... C'est en effet assez étrange. Néanmoins, cela ne veut pas dire que nous devons systématiquement être au fait de tout, sur ce qui se passe au-dessus de nous. Nous avions suffisamment d'éléments pour agir avec les outils dont nous disposons ; que le Sacré-Collège prenne une décision ou non n'y change rien, sauf si elle la prend avant nous bien sûr. De plus, nous avons bel et bien fini par être prévenus, lorsque Son Éminence Kalixtus s'est aperçu que nous en discutions sérieusement... Il nous a aidés à y voir un peu plus clair, alors même qu'il pourrait nous ignorer étant donné qu'il n'a jamais fait partie de notre primatie, que nous n'outrepassions pas nos droits et que sa langue maternelle n'est pas la nôtre. C'est une marque de respect.

-----» Alors, il est vrai que vous auriez pu être mise dans la confidence plus tôt, si en plus certains évêques ont bénéficié de fuites... Mais je ne pense pas du tout que s'ils en ont été informés et pas vous, c'est parce que vous étiez jugée peu digne de confiance. En fait, c'est probablement dû au hasard ; un échange avec un cardinal sur un autre sujet, qui finit par faire référence à cela. Sinon, je ne vois pas du tout pourquoi le Sacré-Collège déciderait qu'un simple membre de l'AEF mérite d'être mieux informé que la Primat de France. Vous n'êtes pas complice, vous n'avez rien fait de suspect, alors c'est à vous qu'on devrait s'adresser en premier. Ces fuites n'avaient rien de planifié, elles se sont faites comme cela, de manière isolée. Après tout, si je veux organiser demain une grande soupe, ce ne sera peut-être ni le maire, ni le cuisinier qui en aura connaissance en premier... Peut-être simplement quelqu'un, à qui j'ai envie de partager mon idée avant d'en parler plus franchement...

-----Ce n'était certes pas la meilleure comparaison qu'il avait pu donner au cours de ces dernières années, mais il n'avait pas mieux sous la main. Sauf en imposant le secret absolu, toute information était vouée à fuiter d'une manière ou d'une autre, au détour d'une conversation banale. Aucun d'entre eux n'aurait eu plus besoin de le savoir que Melo, alors son hypothèse se tenait.

-----Le plus dur restait à venir pour tenter de convaincre son amie de poursuivre ses efforts, d'aller plus loin que ce qu'elle avait fait jusqu'à présent. S'il échouait, cela voudrait dire qu'il était définitivement incapable de raviver la flamme. Il se sentait un peu sous pression, étant donné que personne d'autre ne pourrait tenter quoi que ce soit. Si on la perdait, tout deviendrait beaucoup plus difficile, et pas seulement au niveau fonctionnel. Elle avait été le soleil de la primatie, celle qui parvenait à rassurer les nouveaux, et ragaillardir les anciens. Laodin n'aimait pas du tout la nuit. Il commençait à faire froid, il aurait besoin de ce soleil...

------ En quelque sorte, vous avez sauté de poutre en poutre pour tromper l'ennui, mais à présent vous n'en voyez plus devant vous... Inutile de revenir en arrière, puisque vous savez ce que cela fait de se tenir sur telle poutre... Le plaisir, pour vous, va de pair avec la découverte, pas avec ce que vous connaissez déjà. Et pourtant ! Il est toujours possible de découvrir de nouveaux trésors dans une zone largement fouillée, il y a ce que nous pensons qui existe, et ce qui existe réellement.

-----» Vous avez des idées, vous avez des projets. Elles sont là, ils sont là... Vous en aviez à Saint-Benoît, et il reste à en concrétiser. Je me souviens de votre enthousiasme à ce moment-là. Parlons justement de l'enthousiasme : êtes-vous certaine que rien d'amusant ne pourrait être trouvé pour communier avec les fidèles ou pour animer votre gargote ? Dans notre séminaire, nous avons une Sœur - pour votre amusement, je vous laisse deviner qui - dont la créativité semble ne jamais vouloir s'arrêter, en s'inspirant de ce qu'il y a autour d'elle. Elle est jeune dans notre Église, mais son enthousiasme n'est-il pas contagieux ? Je vous poserai une autre question : pensez-vous que, parce qu'on a exploré de fond en comble un aspect de la vie, il devient impossible d'innover et de s'amuser ? Évidemment, on parle de fougue de la jeunesse, mais la maturité a ses avantages aussi. Notre mission pastorale est un art, or tout art trouve sa joie dans la création, pas dans l'imitation... Il y a un seul modèle de messe, mais tant de façons de l'enrober, tout comme deux tableaux peints d'une même scène seront différents...

-----» Vous avez été initiée à une manière de faire, il y a des codes que vous devez respecter, mais vous possédez, à côté de cela, une très grande liberté pour vous démarquer, faire du neuf avec du vieux. Jusqu'à présent, vous avez toujours fait du neuf avec du neuf, mais c'est à partir de maintenant que vous devrez vous réinventer. Si l'un de vos projets n'avait pas fonctionné à l'époque, remaniez-le ; si l'un de vos projets avait très bien marché à l'époque, partez sur cette base, en ajoutant de nouvelles subtilités. La Chambre Apostolique s'est plusieurs fois demandé comment décider les gérants des diocèses à communiquer sur leur trésorerie, il y a certainement des façons plus intéressantes de s'y prendre que la manière formelle. Et puis, pour votre charge de Primat, il y a aussi de quoi faire, et même bien plus. Organiser des jeux nautiques, une partie de soule dans tout le royaume sur le thème de la foi... Réfléchir à des règles inédites, des particularités pourrait vous amuser... Pour en revenir sur la Chambre Apostolique, vous pourriez même proposer des prix pour les participants... Et puis évidemment, si rien de tout ceci ne vous dit quoi que ce soit, il reste d'autres congrégations que vous n'avez pas encore explorées.

-----» Je sais que son départ vous a fait beaucoup de mal. C'est à partir de ce moment-là que l'ennui vous est venu, avec cette sensation de vide. Peut-être que l'ennui serait quand même venu s'il était resté... Cependant, tout s'est accéléré, c'est indéniable. Le présent ne vous plaît pas, donc l'avenir non plus. Mais une perte comme celle-ci signifie-t-elle la fin ? Vous ne retrouverez jamais quelqu'un comme lui, car nous sommes tous uniques, mais vous pourrez compenser cela par l'amitié. Sainte Anastasia, dont j'aime décidément beaucoup l'exemple, parvint à trouver le bonheur et la joie malgré la fin d'un rêve, qu'on lui avait arraché. Le sourire des enfants, la beauté de la nature... On ne se remet jamais complètement de certaines choses, mais il est toujours possible d'en guérir. La découverte, ainsi, peut passer par la redécouverte. La vie est un choix permanent, et chaque choix amène lui-même à une quasi-infinité de nouveaux choix ! On peut se renouveler constamment, même en gardant la même position dans l'Église. Il suffit de le vouloir, et de comprendre que tout reste effectivement à accomplir, malgré les apparences.

-----L'espoir faisait vivre, et plus que tout, Laodin voulait voir vivre Melo. Si une mauvaise nouvelle appelait toujours à une autre, il n'avait pas du tout l'intention de laisser celle-ci se confirmer. Il n'était peut-être pas Adelène, mais leur amitié était assez forte pour compenser le reste, tout comme l'amitié de Chouquette l'avait remis à flot. Si cela ne suffisait pas, il ne voyait pas ce qui pouvait être fait de plus, hormis une surprise collective. Néanmoins, même cela ne demeurerait qu'une distraction temporaire, et donc superflue... Les mots, les actes n'avaient parfois aucun poids devant le vide abyssal de l'envie. Il n'y avait qu'à espérer que l'on n'agissait pas trop tard, que le résultat de cette confession n'avait pas été écrit à l'avance.

------ Si vous traversez une panne créative, je peux vous aider. Mes idées seront moins intéressantes que les vôtres puisque vous êtes la seule à comprendre ce qui vous amuse et vous transcende, mais elles permettront peut-être de vous orienter vers celles-ci. Vous n'êtes pas seule, et je suis certain que rien n'était prémédité dans l'attitude de nos confrères et de nos supérieurs pour que vous en ayez l'impression. A minima, je suis là pour vous. Avez-vous encore des doutes ?

-----Il espérait en même temps qu'elle lui répondrait par la négative, et qu'elle lui avouerait ne pas être convaincue pour lui laisser une autre chance de faire mieux. Surtout, il ne voulait pas qu'elle partît sans avoir l'impression d'avoir avancé. Il n'y aurait probablement qu'une seule séance, aussi fallait-il tout résoudre ici et maintenant, avant le temps de la réflexion. Il se prépara, guettant une inflexion de voix qui lui ferait comprendre qu'elle était déçue...
_________________

[Melo03]

Nous avions suffisamment d'éléments pour agir avec les outils dont nous disposons

Vous trouvez ? Vous avez eu la "chance" de tomber sur son annonce, presque 2 semaines après qu'elle fut publiée. Ils étaient au courant et personne ne m'a prévenu. Ne pensez-vous pas que quelqu'un aurait dû me prévenir ?
Que Piei ne le fasse pas... Bref, je peux comprendre ses raisons. Mais là haut ? Ne pas prévenir le Primat qui dirige l'Assemblée des Évêques ? Savoir qu'un diocèse n'a plus d'évêque, ne pensez-vous pas que j'aurai dû être mise au courant ?...

Oh oui, c'était bien un brin de colère qu'elle ressentait. De la colère et de lassitude.

Oui, heureusement que Kalixtus est là. Discret mais présent, nous avons de la chance qu'il soit attentif.

Melo sourit à la mention de leur Soeur "enthousiaste". Un doux euphémisme pour la décrire.

Ha la soule ! Qu'elle avait aimé en jouer et arbitrer. Mais même en cela, elle avait perdu l'attrait.

Il fut mis sur la table. Laodin aborda le sujet avec discrétion, adorable qu'il était toujours. Melo l'en apprécia beaucoup pour cela.
Elle ferma les yeux, revisitant la douleur de son abandon.

En réalité, je ne souffre plus de son départ. Juste de ses nombreuses trahisons... Des promesses faites notamment. Mon cœur ne le regrette plus, je suis juste... triste d'avoir été aussi naïve. J'attendais après lui, je l'ai laissé maître de mon avenir et au final...

Un haussement d'épaules ponctua ses propos.

Je dois me reprendre, reprendre ma vie en main... ne plus rien attendre de personne. Ne plus espérer de nouvelles opportunités qui n'arriveront probablement jamais.

Un soupire lui échappa.

La vraie question, c'est : "y arriverais-je ?" J'ai déjà fait tellement de choses, je n'ai pas envie de refaire ce que j'ai fait. J'ai déjà perdu tant de monde, je n'ai plus envie d'en perdre de nouveau... Cela me bloque, je crois, pour aller de l'avant.

Puis elle rougit en avouant :

Même avec vous, j'ai peur qu'on se lance dans un quelconque projet (et je ne doute pas qu'on en trouve) et que vous partiez du jour au lendemain.
Or, je ne veux pas que vous me déceviez, voyez-vous ? Vous êtes mon pilier depuis si longtemps, alors même que vous l'ignorez sûrement...
_________________

[Laodin]

-----Les étoiles s'étaient bien alignées car, si Laodin s'était dans un premier temps retrouvé sans réponse, celle-ci lui viendrait à la lumière de nouveaux accès obtenus. Son esprit s'était focalisé sur ce qu'il avait pu lire, et qu'il n'avait été capable sur le moment de rapporter.

------ Ils n'étaient pas au courant, lui assura-t-il. Je le sais, à présent. En fait, la situation est même à l'opposé de ce que vous pensiez : ils ont été prévenus par vous, lorsque vous avez relayé l'information à l'AEF. Sitôt que vous en aviez parlé à nos confrères, Son Éminence Tymothé était allé au Sacré-Collège pour les avertir à son tour. C'était le 30 octobre... Le lendemain, Son Éminence Kalixtus venait nous voir, soucieux de nous communiquer que l'affaire était examinée en interne. C'est vous qui les avez mis au courant. Vous vous êtes inquiétée pour rien ! Ils vous respectent, et n'ont pas tardé à vouloir vous le faire comprendre, même s'il y a eu un malentendu.

-----Voilà qui devrait grandement rassurer Melo ! Il s'était bien dit que la date à laquelle ils avaient été prévenus coïncidait grandement avec celle où ils avaient eux-mêmes découvert l'information, mais il lui avait été impossible de valider la moindre hypothèse. Par un concours de circonstances, cela était maintenant possible, et il était bien content d'avoir été celui à être présent ce jour-là dans le confessionnal.

-----Ce premier doute pouvait être considéré comme effacé, car bénéficiant désormais de preuves pour cela. Melo avait bien été respectée par sa hiérarchie, ce qui devrait la mettre un peu plus en confiance. Le plus gros restait, néanmoins : sa peur d'être trahie, de beaucoup trop attendre des autres alors que son cœur appelait à la stabilité. Laodin lui donnait son entière amitié, mais comment lui faire comprendre qu'une relation subissait toujours les aléas du temps ? Il ne la trahirait jamais, mais la décevrait peut-être sans le vouloir.

------ Nul ne peut dire ce qui lui arrivera dans l'avenir... répondit-il avec recul. Je pourrais vous dire que je serai avec vous jusqu'à la fin, mais ce serait faire un pari sur l'avenir, or on ne gagne pas à tous les coups contre l'avenir. Comme tout le monde, je suis vulnérable aux imprévus, aux accidents, aux coups du sort... Même vous dire que je vais sortir tout à l'heure de cette chapelle serait un pari, étant donné que je pourrais me cogner mortellement en voulant quitter le confessionnal. Mon cœur peut s'arrêter, mon esprit peut flancher, par une volonté qu'il m'est impossible de contrôler, d'anticiper. Son Éminence Urbain ne pouvait pas prévoir cette paralysie, et enfin cette mort foudroyante... Il a été frappé par la vie, alors même qu'il avait des projets, et de la volonté à revendre... Une promesse peut être sincère, mais il est impossible de prévoir avec exactitude ce à quoi elle aboutira. Aucun de nous n'est mieux loti qu'un autre à ce niveau-là, nous dépendons de la condition qui nous a créés.

-----» Nous ne savons pas ce qui a pu pousser celui dont vous parlez à disparaître du jour au lendemain, sans plus d'explications. La première fois, vous saviez pourquoi, on vous en avait donné la raison. Cette fois, rien ne nous a été communiqué, ni à nous ni à vous. Il lui est peut-être arrivé quelque chose. Il s'apprêtait peut-être à vous écrire, puis un événement imprévu nous l'a retiré. Quelques jours avant sa disparition, il était actif, et avait l'air de se sentir bien. Il est très étrange qu'il nous ait quittés comme cela, parce qu'il ne voulait plus honorer sa promesse auprès de vous... Il est possible qu'il n'ait pas pu l'honorer, sans que cela soit de sa volonté. Dans de telles conditions, il nous est difficile d'émettre des certitudes, de l'accuser d'un abandon volontaire, de présenter notre version de l'histoire sans aucun élément. Alors oui, effectivement, on ne peut plus rien attendre de personne si cela veut dire être à ses côtés jusqu'à la fin de sa vie ; même un couple, ce que vous n'étiez pas, ne pourra dire si l'un partira avant l'autre. Il peut en revanche se promettre fidélité jusqu'à ce que la vie, ou plutôt la mort les sépare. Celui ou celle qui reste devra supporter des années d'absence et de souvenirs, sans autre amertume que celle contre le destin.

-----» Je ne peux vous promettre d'être là pour toujours. Je le serai tant que la vie me le permettra, or personne ne peut jamais savoir quand cela s'arrête - on espère que ce sera le plus loin possible, c'est tout. De même, si je veille toujours à finaliser mes projets, je ne peux promettre de tous les finaliser avant d'être rattrapé par un imprévu. Les promesses sont faites sur la volonté, non sur la prescience de ce qui se produira. Aristote avait pour ainsi dire accompli tout ce qu'il lui était possible d'accomplir, tandis que Christos mourut jeune, sans avoir le temps de concrétiser son Église. Ses apôtres auraient tant voulu l'avoir plus longtemps auprès d'eux ! Ils l'auraient suivi jusqu'à la fin de leur vie à tous, mais cela ne fut pas possible. L'amitié nous forge, elle est puissante, mais elle n'est aussi qu'un chêne, que soit le temps, soit un bûcheron finira par rompre. Faire une promesse raisonnable, c'est de dire que l'on sera là jusqu'à ce que cet arbre tombe, pas de dire que cet arbre ne tombera jamais. D'ailleurs, même à terre, un chêne peut disperser ses glands, qui le feront vivre indirectement. L'amitié perdure, mais on ne peut interagir avec elle qu'une partie de la vie des deux concernés. Elle meurt véritablement quand survient l'ultime trahison, or vous n'avez pas eu de preuves de cette ultime trahison. Des doutes, vous en avez, mais pas des preuves.

-----» Il reviendra peut-être, ou ne reviendra pas du tout. Et, s'il s'exprime sur ce qui lui est arrivé, vous pourrez déterminer s'il vous a de nouveau trahie ou non. Forcément, vous vous attendiez à ce qu'il fût toujours là, à ce que cette amitié durât un peu plus longtemps dans son temps d'interaction. C'est... dommage, on peut le dire. Cependant, nous ne savons rien, rien du tout. Il a disparu, ce qui ne signifie pas forcément qu'il a coupé les ponts avec vous. Cela reste possible, bien entendu. Il peut se trouver en ce moment même dans un monastère, décidé cette fois à ne plus entendre parler de vous. Ce serait quand même surprenant, vu qu'il ne paraissait pas dans le doute. Alors, je souhaite qu'il ne lui soit rien arrivé de grave... Mais, en même temps, j'espère qu'il n'a pas brisé, sans rien dire, la confiance qui vous unissait. De mon côté, je vous promets d'être là, non pour toujours, mais le plus longtemps possible. Je vous aiderai dans vos projets, mais je ne peux garantir que les finaliserai à vos côtés ; les chances sont plutôt élevées, car je ne suis pas vieux, mais Son Éminence Urbain ne l'était pas non plus. De toute manière, plus nous vivons longtemps, plus nous voyons de personnes disparaître autour de nous. C'est la dure loi de la vie, que les anciens ont longuement expérimentée et sur laquelle ils ont appris à prendre du recul.

-----Il se tut, l'oreille dressée pour savoir si Melo avait quelque chose à dire de plus, si sa réponse l'avait convaincue ou non. Il avait en effet davantage employé la raison que fait appel aux émotions, qui étaient toujours très fortes dans ce type de discussion.
_________________

[Melo03]

Melo fut rassurée. Si Laodin lui affirmait que cela s'était passé ainsi, elle le croyait volontiers.
Quand au reste :

Je ne cherche nulle promesse de votre part. J'exprime juste mes angoisses... Je sais bien que nous ne pouvons promettre quoique ce soit, que les imprévus arrivent, que la maladie ou pire font partis de notre existence. Nous y sommes préparés en tant que clerc. C'est la vie.
Il m'est juste difficile de faire comme ci j'allais bien, comme ci toutes les pertes que je subissais ne m'affectaient pas... Surtout que je ne peux parler de lui... Jamais, à personne et cela est difficile. Je dois feindre, toujours que tout va bien...

Melo se redressa. Elle détestait se plaindre mais cela faisait du bien de pouvoir se laisser un peu aller.
_________________

[Laodin]

-----Ne pas parler, ne rien dire de ce qu'une perte avait pu provoquer en soi : Laodin connaissait cela très bien, et gardait toujours ces émotions terribles au fond de lui, depuis le temps où il n'était même pas encore appelé au baptême. Le chagrin était devenu acceptation, mais certainement pas tolérance face à ce qu'il avait vécu. Garder le silence était ainsi pour lui comme une carapace, et son dos meurtri comme une protection devant l'oubli... Il s'était confessé une fois, et ne le ferait certainement pas une deuxième, ou du moins pas pour le moment. Il n'était pas prêt, comme pour beaucoup d'autres choses. Si son présent n'était parfois qu'un vestige de son passé, au moins faisait-il en sorte de le rendre le plus beau possible... Y arrivait-il seulement ? Il l'espérait.

------ C'est pour cela que la confession existe : nous décharger de ce que nous retenons pour nous-mêmes, dire ce qui nous afflige et que nous ne pouvons pas révéler en temps normal. Nous avons, tous ou presque, des douleurs que nous taisons pour ne pas faire souffrir les autres, ou nous faire souffrir encore plus. Les décrire aussi facilement serait comme exhiber sa plaie à vif... C'est aussi le cas ici, mais parce que le secret existe il sera possible de soulager cette plaie, puis de refaire un bandage. Je ne peux pas vous guérir de ce que vous ressentez, mais je peux vous aider à y survivre. Aussi, avez-vous autre chose à confier qui vous soulagerait du silence, avant que cette séance ne se termine ?
_________________