L'Eglise Aristotelicienne Romaine The Roman and Aristotelic Church

[Endymion]

[ Roman residence of His Eminence Endymion d'Abbadie. ]

Le Palazzo Anguillara, voila qui serait donc le pied-à-terre romain du cardinal d'Abbadie. Cela faisait déjà plusieurs mois que ce petit palais lui avait tapé dans l’œil, et cette affection pour l'édifice récemment rénové avait souvent guidé ses nombreuses pérégrinations dans la ville éternelle, le ramenant dans le quartier Trastevere. Une fois élevé à la dignité cardinalice il avait sauté le pas et contacté les services de la Chancellerie Pontificale, usant de son poste élevé dans celle-ci pour acquérir, moyennant finances, ce palais légèrement fortifié, charmé plus encore quand il découvrit la cour intérieure et son escalier.
La grosse tour accueillerait son étude, son bureau et ses archives, tandis que le bâtiment plus vaste accueillerait ses appartement, quelques chambres pour ses invités, une grande bibliothèque, au premier, déjà bien fournie et une grande salle de réception.

Quelques jours après la cérémonie à la basilique Endymion recevait déjà de la visite. Un vadrouilleur, membre de la compagnie qui lui rappelait toujours, quand il en entendait parler, un cardinal disparu dans le désert, qu'il avait peu côtoyé mais grandement apprécié. Il avait l'impression que cela faisait des années vu la vitesse à laquelle les choses évoluaient en ce bas-monde.
Il était donc en train de vider des malles de livre qu'il avait acheté récemment ou fait venir de Vienne et les rangeait consciencieusement dans les rayonnages de la bibliothèque. Le page qui accueillait les visiteurs avait été prévenu, Maximin devait être amené directement à la bibliothèque et y être introduit, le cardinal ayant décidé de l'y recevoir.
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[Maximin]

Le Vadrouilleur avait contacté le fraîchement appelé Cardinal d'Abbadie. C'était là un rouage supplémentaire à mettre en route dans la grande machine du destin dont le Divin Architecte n'avait pas encore dévoilé le rôle.
Ayant reçu le plan pour se rendre jusqu'au Palazzo Anguillara, Maximin se rappela alors les faubourgs de Rome, qu'il avait tant fréquenté, fut un temps. Se disant que le temps n'était plus pour lui cette denrée rare qui manquait à tous les hommes, il se permit de faire un détour pour passer devant de Domus Angelico, aujourd'hui envahi par les herbes et la végétation. S'introduisant dans la propriété, il alla passer les mains sur ces murs qu'il avait autrefois occupé, et où des chandelles avaient longuement chassé la nuit, occupé qu'il était à écrire tant de courriers et à tenter de sauver l'impossible. Cette époque était révolue désormais.

Ainsi donc, l'Orient lui avait ouvert les bras, et le désert l'avait englouti et ce n'est que plus tard qu'il avait compris la raison pour laquelle il avait eu tant de volonté à aller là-bas. Une année s'était écoulée, déjà ... le temps filait si vite. Plongeant à nouveau dans son passé, il regrettait de n'en avoir pas fait assez ; puis il se leva et continua son périple.

Arrivé au Palazzo, un page l'invita cordialement à pénétrer dans la demeure et fut promptement reçu par Endymion dans la bibliothèque. L'on aurait pu trouver meilleure place, en vérité.
Tant d'ouvrages étaient encore dans les caisses que les rayonnages paraissaient bien vides, mais cela serait vite comblé, il n'en doutait point, par l'érudit de pourpre vêtu.

S'avançant enfin vers l'homme, il le salua, respectueusement.

Mes salutations, Éminence.
Je vous remercie de m'avoir si promptement reçu en ce palais romain.

Je suis Maximin d'Arcadie, simple et humble voyageur, explorateur de l'Orient Mystérieux. Je constate que vous appréciez l'art et l'architecture .... puissent vos yeux se poser un jour sur l'Eglise de la Sainte Sagesse, à Constantinople.

Une introduction simple, il verrait où cette conversation le mènerait, bien que le but de sa visite était clair pour lui.

[Endymion]

Alors que son rangement prenait du retard, le cardinal ne résistant pas à feuilleter la plupart des livres qu'il avait en main, admirant parfois de délicates enluminures colorées, le diligent page annonça l'arrivée de Maximin.
Il s'approcha lentement du voyageur, esquissant un sourire, lui répondant,
Constantinople... Puisse le Très haut me permettre un jour de voyager, comme vous le faites avec votre compagnie, en particulier hors des frontières de nos royaumes... Mais en attendant le jour où laisserais à d'autres mes quelques responsabilités pour parcourir le monde, je voyage à travers mes livres, il désigna alors sa bibliothèque en bazar d'un geste ample, du moins quand je ne suis pas sur les routes cahoteuses de France ou d'Empire.
Mais asseyons-nous si vous le voulez bien.

Il s'approcha alors de deux fauteuils, en désigna un de la main pour son invité et s'assit dans l'autre. Puis sa curiosité prit le dessus,
Dites-moi, avez-vous un nouveau voyage de prévu ? L'on entend de nombreuses rumeurs sur des oblets mystérieux déterrés un peu partout...
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[Maximin]

L'homme s'assit dans le confortable fauteuil, il l'était bien plus qu'un pont de navire ou qu'une couche sur les rochers. Il le remercia d'un signe de tête.

En vérité, il faut parfois forcer le Destin, Éminence. Ce dernier met sur notre route des signes et des indices, que parfois l'on voit, c'est alors qu'il faut rapidement se décider et prendre le chemin qu'il convient.
Facile à dire, me direz-vous, mais à force, ces choses semblent plus évidentes, surtout quand elle ne sont pas biaisées par une quelconque envie de gloire ou de fortune ...

A la mention de voyage, il parut un instant songeur et acquiesça.

Oui, en effet, nous préparons une future expédition mais pour l'heure nous ne savons pas où ...
Nous avons pu rassembler tous les morceaux de la carte d'Hécatée, même si nous la connaissions déjà. Nous espérions trouver un indice que nous n'aurions pas encore remarqué sur celle dont nous disposions déjà.

Quant aux objets, c'est un fait, entre les momies mérovingiennes et les anciennes pièces romaines ... ces marchands semblent vouloir les échanger contre d'autres objets, comme des cailloux colorés ou encore une gourde, voire parfois ... un morceau de carte.
J'ai déjà eu l'opportunité d'en croiser trois ou quatre fois, à vrai dire, mais aucune n'a voulu me dire quelque chose que j'ignorais ...

Mes espoirs se portent sur la découverte d'une route qui mènerait plus loin encore vers l'Ouest, vers l'immense Cathay ou vers le Toit du Monde, comme l'appellent ces sages venus d'Orient, que j'ai eu l'opportunité de rencontrer au Bursa Sancağı, non loin de la Cappadoce ...
Leur philosophie est des plus déconcertantes, pour les gens qui habitent en Royaume de France ou en Empire ...

[Endymion]

Endymion acquiesça aux paroles de Maximin,
L'Orient... voila une vaste contrée encore pleine de mystères. Je ne sais si vous êtes à l'aise avec l'écriture, mais vous devriez garder une trace, un livre par exemple, de tous vos voyages, vos découvertes, afin de faire découvrir à ceux qui ne peuvent voyager toutes ces choses sortant de notre ordinaire.

Quant au destin... le prélat passa une main dans sa barbe, d'un air pensif, vous le dites vous-même, les indices et signes qu'il met sur notre route ne sont pas toujours évidents, l'envie de gloire et pouvoir étant effectivement un facteur d'aveuglement... Envie que bien des hommes poursuivent d'ailleurs, malheureusement.
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[Maximin]

Le Cardinal avait raison, invariablement. Peut-être par orgueil, Maximin faisait trop confiance à sa bonne mémoire. Mais il savait, pour avoir vu ces cas en médecine, qu'avec l'âge, on avait tendance à oublier.

Oui, c'est un fait, indéniable. Je devrais faire cela ... garder des plans, des dessins, ...
Nous avions travaillé à cela lorsque nous sommes allés en Séleucie, ainsi rien n'est perdu.

Puis il ne put que confirmer, ne connaissant que trop bien cette situation.

Hélas oui, la concupiscence éloigne bien souvent les hommes de la Vertu Divine.
Sans orgueil, les Vadrouilleurs privilégient davantage l'aide et l'amitié, certes la découverte, mais elle n'est jamais motivée par une quelconque forme d'enrichissement pécuniaire.
Je me tiens à votre disposition si d'aventure vous souhaitez en savoir davantage.

Beaucoup d'humains n'ont plus peur du Jugement de Dieu, car il ne survient pas dans ce monde, et pourtant, il peut parfois prendre des directions inattendues ...

Pour l'avoir lui-même vécu en ce sens, il ne pouvait qu'en témoigner.

Le blond savait le temps des pourprés fort précieux et il était déjà heureux d'avoir pu être reçu dans les meilleurs délais. Ainsi, il en vint au fait de ce qui l'avait amené à contacter le prélat.

Nous parlions de Destin, ce tantôt.
Il y a plus d'une année, j'ai fait plusieurs rêves récurrents bercés de mysticisme et de foi, m'enjoignant, par leur message, à me rendre en un certain lieu pour y poursuivre ma route, et de ne pas avoir peur d'avancer vers l'inconnu et faire en quelque sorte ... le "saut de la Foi".
L'on prétend souvent que les rêves sont d'inspiration divine, comme le Songe des Dialogues d'Aristote ou encore celui que fit Benoît de Pise Yaolo qui le conduisit à une grotte bien cachée à la base du Mont Cassin ... voire même le Testament du Prophète, pourtant si controversé.

Que pensez-vous de ces messages, mon Père ?

[Endymion]

Si Endymion ne savait pas s'ils partagerait de nombreux points de vue avec le voyageur, en voila un sur lequel ils s'accordaient : beaucoup ne craignaient plus le Jugement du très Haut... Et ainsi à quoi pouvait bien leur servir la foi, l’Église ?
Mais ils n'allaient pas débattre là-dessus, surtout qu'ils étaient d'accord, et Maximin entra dans le vif du sujet.
Tout dépend mon fils... Concernant les messages venant des songes d'Aristote ils sont divins, ou alors c'est toute ma foy qui est une supercherie. Ceux provenant du document appelé "testament" d'Aristote ne me convainquent pas, étant donné qu'ils entrent en contradiction avec les songes précédents.
Quant aux messages de vos propres rêves je ne puis me prononcer, du moins sans avoir plus de détails... Néanmoins oui, je crois que le Très Haut s'adresse à nous à travers des songes, plus ou moins explicites.
Et vous éveillez, de nouveau, ma curiosité : pouvez-vous m'en dire plus sur vos songes ou sur ce lieu, cette route que vous avez poursuivie ?
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[Maximin]

Et pourtant ... le testament d'Aristote, pour lui qui l'avait vu et tenu entre les mains, était un objet loin d'être quelconque et avait un pouvoir réel. Ce qu'il révélait n'était pas non plus dénué de sens, même si c'était sujet à interprétation.

Il faudrait alors tenter de comprendre pourquoi ce document a été écrit ainsi, car je puis vous assurer que l'objet est vieux et possède une aura particulière, de la puissance s'en dégage, incontestablement.

Maximin s'installa plus confortablement dans le fauteuil ; aujourd'hui il n'avait plus d'appréhension à raconter cette histoire, si incroyable soit-elle.
Songeur, et c'était fort adapté, il laissa son esprit vagabonder jusqu'à ces souvenirs peu avant son voyage.

Et bien ... c'est complexe. C'était il y a un peu plus d'un an ... chaque nuit, mon esprit entrevit en rêve une cité, aux portes du désert. Pour y être allé, je pu l'identifier comme étant celle que bâtit Alexandre le Grand et où trôna longtemps l'un des sept merveilles du monde antique, sur l'île de Pharos ...

Je me tenais à la périphérie, et avais avec moi de nombreux sacs, forts lourds et encombrants, contenant des abstractions : richesse, renommée et pouvoir ; pourtant, j'avais conscience que mon corps était malade et épuisé. Je ne comprenais même pas où je trouvais la force de m'encombrer de tout cela.

La peur rongeait mes entrailles, cette peur de l'inconnu, celle d'un voyage que l'on commence et l'on ne sait si on va pouvoir le terminer, comme lorsque les nuages s'ammoncellent et que l'orage va éclater. Malgré cet horizon bien sombre, j'avais cette conviction de devoir continuer, envers et contre tout.

Parvenu dans le désert, ayant perdu tout sens de la réalité, je me voyais abandonner un à un ces sacs, et assoiffé, brûlé par le soleil, je continuais à marcher, malgré la douleur.
Alors parvenu au terme de ce voyage, les éléments se déchaînaient autour de moi, la tempête rageait, tandis que l'eau tombait en trombes.

Et soudain, le silence fut total, comme si le temps était arrêté, je ne percevais plus de douleur, les gouttes mêlées aux grains de sable semblaient en suspension dans l'air, tandis que comme un rideau s'écartant, les pans de la tempête bougeaient, révélant un précipice au dessus duquel flottait un arc-en-ciel.
Au bord du gouffre, incapable de remuer ne fût-ce que le petit doigt, tétanisé, j'avais le choix entre rebrousser chemin et revenir dans le maelstrom d'éléments ou sauter dans le vide, vers cette féerie lumineuse.

En mon esprit, curieusement serein, j'avais conscience que je devais garder la Foi et poursuivre ma route vers l'inconnu ...

Ainsi se terminait le rêve, en vérité. Une fin quelque peu brutale, après le bien-être ressenti.

La boucle était alors bouclée.

[Endymion]

Et la cardinal écouta attentivement le songe. D'abord Alexandrie, ça il en avait déjà entendu parlé et se l'était faite décrire par quelque intrépide voyageur ayant traversé la Méditerranée. Le reste lui fit penser à une métaphore, et la fin le laissa sur sa faim. Songeur, il joignit ses main sous son menton, les coudes posés sur les accoudoirs, tout en réfléchissant à haute voix.
Voila un rêve des plus particuliers... Je ne sais si vous avez essayé, ou même réussi, à l'analyser, mais le début me semble plutôt clair sur la symbolique : sur un chemin - celui de la vie par exemple - vous êtes riche et plein de gloire, ces éléments vous encombrant et vous êtes obligé de les abandonner au fur et à mesure de votre "quête". L'on pourrait alors comparer l'espace de calme et de luminosité au milieu de la tempête comme un signe du Très Haut au milieu de votre vie emplie de doutes... Mmmh... Et suivre le signe divin serait prendre un risque équivalent à celui d'un saut dans le vide... Tout cela le rendait pensif et il demanda de but en blanc, mais vous peut-être êtes-vous arrivé à une conclusion similaire.
Qu'en pensez-vous ?
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[Maximin]

Maximin écouta le Cardinal très attentivement, car il lui faisait l'analyse de ce rêve. Il hocha la tête plusieurs fois, positivement, car il était arrivé aux mêmes conclusions que lui.

En effet, je suis parvenu aux mêmes conclusions que vous, Eminence. La première partie est en effet symbolique, le reste par contre l'est moins ...

Parce que je n'avais plus grand chose à perdre, je n'ai pas laissé ces signes et présages sans suite.
Eu égard à cette renommée, ce pouvoir et cette richesse qui étaient miens, j'ai entamé ce voyage vers Alexandrie, laissant tout d'abord derrière moi ce pouvoir en quittant mes fonctions, je fis le nécessaire pour céder ces terres et bâtiments en ma possession, tandis que le reste de mon argent serait donné pour continuer de bonnes oeuvres. Quant à la renommée, je l'abandonnai aussi, lorsque arrivé à la Cité du Désert, je fis en sorte d'expédier un corps - un squelette, pour être précis - agrémenté d'une lettre et de quelques insignes, qui, à la première impression, ne laisseraient aucun doute sur l'identité du corps.
Une personne fort avisée aurait pu trouver des indices sur cette "supercherie", mais en vérité, il n'y avait pas lieu que quelqu'un se posa ce genre de questions et force m'est de constater qu'aujourd'hui, cela n'a pas été fait et c'est tant mieux.

Selon mes calculs, le "colis" devrait arriver à sa destination vers la mi de novembre.

J'accomplissais ainsi cette première partie, en déposant un à un, ces sacs qui m'entravaient au monde et à une situation.

Il marqua une courte pose, étudiant le visage d'Endymion.

Quel pari, n'est-ce pas ? Mais j'avais la foi et la conviction de devoir poursuivre.
Ensuite, libéré de ces fardeaux, mais déjà épuisé, souffrant, je trouvai l'ultime énergie pour partir dans le désert, seul, pour ne plus déranger personne et en vérité, pour y rencontrer ce destin qui m'avait été soufflé.

Si je succombais, je rencontrerais le Très-Haut et si mon rêve prenait forme, les signes me révéleraient que faire puisqu'ils m'avaient sans doute été inspirés par une puissance supérieure. Il n'empêche que cette peur de l'inconnu me tenaillait effectivement le ventre, au début, puis au fur et à mesure, elle fit place à une forme de sérénité intérieure.

Et là, aussi incroyable que cela puisse paraître, les choses se passèrent exactement comme le mentionnait le rêve. C'est du moins le souvenir ténu que j'en garde, ... maintenant ... est-ce de la folie, est-ce de l'auto-persuasion, ou est-ce que cela s'est réellement passé ainsi, je l'ignore ...

Quant à la finalité, elle fut au delà de toute espérance, bien que particulièrement inattendue.

[Endymion]

Et plus l'homme assis face au cardinal avança dans son récit, plus la perplexité intérieure dudit cardinal se transforma en surprise, surprise assez visible sur le visage du pourpré : le corps, la lettre, les titres et les possessions. Il n'y avait plus de doutes, pour Endymion, sur l'identité réelle de son interlocuteur.
Il le laissa néanmoins terminer, et répondit d'abord à la question.
Un sacré pari en effet...

Sauf que l'archevêque hésitait : devait-il évoquer le passé de Maximin ou connaître la fin du voyage. Sa journée s'annonçait pourtant calme, simple, partagée entre rangement, travaux héraldiques et prières, la routine en somme. Mais un double événement interrompait tout cela : un retour inattendu et un récit intriguant.
Son choix était fait, après quelques secondes à scruter le voyageur, à essayer de se rappeler avec exactitude les traits du passé, il fit un mélange.
Vous n'êtes donc pas aux côtés du Très Haut, mon frère... Mais qu'y avait-il au bout du voyage ?
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[Maximin]

Le blond s'était volontairement arrêté en plein milieu du récit, afin, d'une part, de constater l'intérêt de son interlocuteur, car quelle perte de temps cela aurait été de tout raconter pour rien ... et d'autre part, de ne pas se lancer dans un monologue aussi long qu'ennuyeux.

C'était un fait, le pari avait été fait, et gagné, mais le prix était bien différent de ce qu'il aurait pu penser. Par ailleurs, il était grandement préférable d'amener son interlocuteur à se poser les vraies questions et à lui-même envisager une réponse plutôt que de la lui servir brute, car elle aurait eu l'effet d'un rôti brûlé ou d'un soufflet qui serait retombé.

Il remarqua sans sourciller le fait que l'homme l'eut appelé "mon frère", ce qui l'amena à la conclusion que le Cardinal avait déjà une idée son son identité réelle, bien qu'aucun trait de son visage n'eut pu rappeler quelque chose.

La question avait été posée, simplement, et il devait s’acquitter de la mission d'y répondre.

Et bien, c'est là que cela devient complexe, en vérité.

Au bord du gouffre, je pris l'ultime décision de rassembler le peu d'énergie qu'il me restait, de me relever une dernière fois et de me laisser tomber dedans, vers cet arc-en-ciel qui s'y dessinait et d'y faire "le saut de la Foi".

Bien humblement, je ne puis prétendre avoir la certitude ou l'omniscience sur ce que je vais vous dire ... je n'ai de ce moment que de vagues souvenirs, d'avoir été transporté vers un lieu hors du temps et de l'espace communément connus, à mes côtés une présence bienveillante et en ma conscience, l'acceptation d'un choix. Ces moments flous ne me reviennent que par lambeaux, comme si une chape de plomb les scellait en mon esprit.

L'instant d'après, j'ouvris les yeux ... tout simplement.

Il prenait alors la mesure de la déception de ses interlocuteurs, à chaque fois. Que pouvait-il leur dire d'autre que la vérité telle qu'il s'en rappelait, il n'allait pas leur mentir, ni leur inventer une fadaise pour leur faire plaisir.

Lors de mon "réveil", mon esprit était grandement "troublé", sans doute par le fait d'avoir vécu cet événement extra-ordinaire, voire traumatisant. Je n'avais que des bribes de souvenirs complètement décousus, quelques images et des visages, tous appartenaient à un "passé" que je connaissais sans connaître ... un peu comme si vous mettiez des objets dans une boîte et que vous secouiez cette dernière.
De ce corps, ... - dit-il en désignant son enveloppe charnelle - je ne savais rien ... tout ce que je puis dire c'est qu'il était vierge de toute navrure ... aucune coupure, aucune cicatrice, aucune trace de maladie quelconque, aucune douleur, aucune affliction d'une quelconque forme que ce fut. Rien ...

Je me suis alors dit que tout n'était qu'illusion et que le brouillard allait se dissiper, mais au fur et à mesure du temps qui passait, les souvenirs me revenaient, sans pour autant que rien de cet homme ne me soit connu. Je me renseignai ... nul ne l'avait jamais vu, ni entendu parler de lui. Et même à l'auberge dans laquelle je me réveillai, à Alexandrie, le tenancier ne put rien m'en dire, comme si il était juste là et simplement là.
En vérité, j'ai longtemps cru que j'étais fou. Mais j'étais aussi en proie à un problème de conscience, car par principe, si cet homme avait eu un esprit ou une âme, le "mien" était venu l'occulter et cela je ne pouvais le supporter.

Quant à l'ancienne enveloppe charnelle ... j'ignore ce qui a pu en advenir ... perdue quelque part, dans un gouffre du désert d'Egypte, dévorée par les animaux, ou que sais-je encore ... je n'ai plus réellement de souvenir de cela, si ce n'est une grande souffrance, une soif abominable et de probables délires et mirages ...

Désormais, il parlait de cela avec grand pragmatisme, avec plus de liberté qu'il y avait quelques mois.

Pendant des mois, je restai dans l'expectative, dans le doute, et je me tus, conscient que d'une histoire extraordinaire à la démence, il n'y avait qu'un pas.
Profitant de cet anonymat, du fait que j'étais devenu un quidam ... j'ai observé, en silence, ne doutant certes pas de certaines choses, mais d'autres m'apparaissant comme de scandaleuses manipulations de l'être humain faites par l'être humain, de voir s'affirmer les choses que j'avais déjà perçu avant, de m’apitoyer sur le manque de moyens et de possibilités et enfin, de constater, avec une infinie tristesse, ô combien l'homme s'était éloigné de Dieu et de son Amour. Comprenez par là que je ne mets pas en cause l'existence du Très-Haut et des Prophètes, ni de leur volonté ...

[Endymion]

Le "saut de la Foi" rappela au cardinal les récits de certains voyageurs qui avaient voyagé par delà la Méditerranée, vers la mystérieuse et enivrante cité du désert, puis avaient sauté d'une falaise... Mais n'ayant jamais pu en rencontrer un, se contentant d'histoires transmises et donc surement galvaudées ou embellies, il était resté perplexe. Et voila donc que Maximin disait avoir vécu une aventure similaire, et le moment suivant son saut décrivait vraisemblablement le moment où tout mort doit faire son choix devant le Très Haut : ressusciter ou pas.
Mais pas le temps d'approfondir sa pensée, le récit continuait...
La suite fut intéressante, étonnante, surprenante même, et tout en se redressant dans son fauteuil Endymion la commenta.
Si la première partie du récit ne m'étonne que peu, car c'est là l'expérience racontée dans le Livre de l’Éclipse, bien que je trouve surprenant que vous en ayez quelques souvenirs, même diffus... Seriez-vous donc le successeur de Sypous ? Pourquoi si peu de souvenir de ce moment alors ?

Après tout ne disait-on pas que les voix du très Haut étaient impénétrables ? La suite ensuite,
Étés-vous persuadé, complètement et pleinement, que ce corps n'est pas le vôtre, du moins "l'original" ? n'avez-vous pas envisagé que le Très Haut ne vous ait guéri, puis "transformé" à votre réveil pour une raison qui dépasse encore notre compréhension ?
Car c'est là un grand mystère, un corps humain ne peut pourtant vivre sans âme, ce qui impliquerait que le vôtre fut créé par Dieu...

Il frotta son nez entre son pouce et son index, fermant à moitié les yeux, réfléchissant. Puis,
Quant aux hommes qui s'éloignent de Dieu... C'est le mal de notre époque, en si peu de temps au regard de notre Histoire beaucoup de choses ont basculé. Et je prie le Très Haut chaque jour me montrer, de montrer à l’Église, comment toucher de nouveau le cœur des hommes et leur faire se rappeler l'Amour du Très Haut...
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[Maximin]

Maximin écouta le Cardinal avec intérêt, ce dernier apportant des éléments qu'il n'avait pas entrevu.

Sypous se souvenait exactement de tout, de sa visite et de sa vie passée. Quant à moi, les souvenirs sont revenus peu à peu, par bribes, principalement ceux "d'avant" ; de ce qui s'est passé pendant "la transition", je ne garde que peu de mémoire ... quelques mots, quelques sensations, quelques idées.
Mais je n'ai hélas aucune explication ...

Il est pour moi certain que ce corps n'est pas l'original sinon ... il afficha un sourire neutre ... vous m'auriez reconnu, puisque nous avons eu à faire dans le passé. Je gage vous avoir assez ennuyé avec certains détails pour que vous vous souveniez de moi. Il s'accorda un peu à rire, car si ce dernier était le propre de l'homme, il n'avait pas laissé de côté sa bonne humeur, faisant contre mauvaise (?) fortune bon coeur.

Je n'ai pas envisagé ce que vous me dites, mais de fait, ce n'est pas idiot. Pourquoi pas, en vérité. Absolument rien ne privilégie ma théorie par rapport à la votre.
Si j'ai bien interprété le Dogme, et surtout Aristote, qui stipule que l'âme ne peut être sans corps, sauf pendant une très courte période ; eu égard au fait que lors de mon "réveil", je croyais être autre ; enfin, au Bursa Sangaci, en Empire Ottoman, j'ai rencontré un sage venu du lointain orient qui m'a parlé du voyage des âmes d'un corps vers un autre, lors de la fin de l'existence physique ; j'en ai donc tiré cette conclusion mais sans forcément aujourd'hui exclure d'autre pistes.

Après tout, comme vous avez longuement étudié le Dogme romain et êtes théologue, vous êtes l'une des personnes qui peut m'aider à envisager des pistes de compréhension.

Il hocha alors gravement la tête.

Le Très-Haut n'intervient plus que très rarement en ce monde, Éminence, c'est aux hommes de trouver la solution. La partie de bras de fer entre l'Ombre et l'Humanité est en train de basculer en la faveur de la Créature ...
L'heure est désormais à agir, mais différemment d'auparavant.

[Endymion]

Endymion leva un sourcil quand Maximin parla du voyage de l'âme d'un corps à un autre,
Voila une théorie intrigante, le voyage des âmes. Vous comprendrez que de mon côté j'ai du mal à l'envisager, et je ne le pourrai pas, à moins de contredire Aristote et donc la parole divine par extension...

Quant à être théologue, je suis loin de la connaissance pointue du Dogme que peuvent avoir d'autres clercs, et c'est pourquoi je préfère en général éviter d'affirmer sans concession un point de vue dogmatique. Car après tout, le Très Haut peut décider de faire des exceptions, et votre âme pourrait en être une, Lui seul le sait...

Il sourit en terminant sa phrase, qui faisait la transition avec la suite,
Il est vrai que le Très Haut n'intervient plus comme il a pu le faire jadis, sinon notre libre-arbitre ne servirait point à grand-chose. Mais j'ai foi que si nous, l'humanité, devions être au bord du précipice alors Dieu tendrait Sa divine main pour nous aider.
Pensez-vous vraiment que nous soyons si proche de ce basculement, à ce point ?

La question pouvait sembler superflue vu que le voyageur semblait sûr de ce fait, et sa dernière phrase amenait une autre question.
Agir différemment... Qu'entendez-vous par là ?
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