 |
L'Eglise Aristotelicienne Romaine The Roman and Aristotelic Church Forum RP de l'Eglise Aristotelicienne du jeu en ligne RR Forum RP for the Aristotelic Church of the RK online game 
|
Voir le sujet précédent :: Voir le sujet suivant |
Auteur |
Message |
uriel

Inscrit le: 31 Jan 2009 Messages: 3736
|
Posté le: Jeu Fév 27, 2025 9:53 pm Sujet du message: |
|
|
L'obscurité avait englouti depuis quelque temps déjà les dernières lueurs du jour. La nuit avançait inexorablement dans sa lutte contre la clarté, et en cette saison où elle régnait en maître, elle savait pourtant qu’elle finirait par céder du terrain, jour après jour, dans l’éternel cycle du temps.
Uriel écoutait le jeune cardinal. Il retrouvait dans ses paroles un écho lointain, une réminiscence de son propre passé, plus de dix ans auparavant. Il comprenait ce doute qui étreignait Adelène, ce poids qui alourdissait chaque réflexion. Chacun réagissait différemment face à la désillusion, mais il en connaissait les affres.
Ainsi donc, vous voilà arrivé là où j’étais il y a plus de dix années... Je ne peux que compatir à votre désarroi. Chaque jour qui passe, chaque pas devient plus lourd.
Il laissa planer un silence, léger dans le temps mais d'une densité presque tangible, comme si l’instant suspendu s’étirait à l’infini. Une chouette hulula au loin, brisant cette quiétude, marquant le début du règne nocturne. Il reprit alors, d’un ton plus mesuré :
Mais à la différence de ce que j’étais, vous êtes idéaliste. Et en cet instant précis, vous avez encore des choses à accomplir. Cette abbaye, par exemple... Il me semble que, par votre engagement, par ce projet fort louable, vous avez d'ailleurs trouvé un juste équilibre entre idéalisme et pragmatisme.
Un sourire fugace éclaira son visage, à peine révélé par la lumière naissante de la lune.
C’est cela qui m’a manqué à l’époque. Oui...
Il baissa les yeux un instant, comme pour peser ses propres paroles, puis releva la tête :
Quant au contrôle, aux interdits... tout cela n’est qu’illusion. En vérité, il n’y a de pouvoir que celui que l’on consent à accorder. Sinon... quoi ? Mettre sous interdit ? Excommunier ? Sans vouloir manquer de respect, ce sont là des prérogatives futiles. Car, au final, nous les humains, ne sommes simplement pas aptes à juger les nôtres. Beaucoup perdent de vue ceci : qui peut décider du sort d’une âme, si ce n’est Dieu lui-même ? Lui seul peut réellement juger car Il est Omniscient.
Le ton était posé et neutre, sans colère, aucun mot n'avait été plus appuyé qu'un autre. Il marqua alors une pause, laissant ses pensées s’épanouir un instant dans l’air nocturne.
J'espère ne pas vous avoir choqué avec mes dernières paroles un peu incisives.
Mes plus belles années furent celles où j’étais diacre itinérant. Aller à la rencontre des gens, écouter les âmes, édifier les séminaristes... Des actions simples, mais porteuses d’un véritable éclat, d’une lumière qui réchauffait les cœurs et ravivait la flamme de la félicité en chacun.
Mais il avait voulu aller trop loin. Il s’était heurté aux murs froids des institutions, aux formalités vaines, aux dogmes immuables.
J’ai pris un autre chemin, celui de l’éloignement. J’ai fait des choix, certes discutables, et me suis retiré du Monde connu, cherchant dans l’inconnu une forme d’apaisement ... que j'ai trouvé ....
Il tourna légèrement la tête vers Adelène et, d’une voix plus douce, ajouta :
Sachez que je suis heureux que votre flamme ne se soit pas éteinte. Qu’il vous reste encore cette force pour mener à bien votre projet.
Le voyageur s’inclina légèrement en guise de remerciement à l’invitation renouvelée du cardinal. Pour l’heure, il n’avait pas de réponse à donner. Il ne voulait pas s’engager, pas encore. Il savait que son éloignement du dogme aristotélicien l’avait rendu suspect aux yeux de certains, et que sa pensée pouvait être vue comme hétérodoxe. Pourtant, en y regardant bien, elle ne s’éloignait pas tant des préceptes fondamentaux. C’était leur finalité qui différait.
Avant de partir, je vous laisserai une copie du document, dit-il enfin. Ainsi, vous pourrez le conserver et en tirer vos propres conclusions. Étant un défenseur du Libre-Arbitre, n’y voyez aucune volonté de ma part de fomenter une sédition ou de vous placer dans une situation délicate. Prenez votre temps. Réfléchissez. Pesez le pour et le contre. Demandez conseil, si vous le pouvez.
Il marqua une dernière pause, puis conclut :
Je réfléchirai à votre proposition. Soyez-en certain.
Uriel leva les yeux vers le ciel, où les premières étoiles perçaient timidement le voile sombre. Il songea à ce qu’il aurait pu faire s’il n’était pas parti. À ce qu’il aurait pu éviter. Mais le passé demeurait inaltérable. Les choix qu’il avait faits l’avaient mené loin de la souffrance... et pourtant, en revenant, il s’était rendu compte qu’il en avait causé, sans le vouloir.
Il inspira profondément et se redressa.
Il était temps de revenir à l’essentiel.
Le Testament.
Retour à Alexandrie. |
|
Revenir en haut de page |
|
 |
Adelene Cardinal


Inscrit le: 08 Juil 2020 Messages: 2628 Localisation: Villa Catena
|
Posté le: Ven Fév 28, 2025 8:57 am Sujet du message: |
|
|
Alors que son hôte se redressait, le Cardinal en fit de même et naturellement, mais d’un pas calme, les deux hommes s’avancèrent vers le bâtiment afin de se diriger vers la sortie. Le Cardinal avait laissé à la nuit tout son nécessaire de jardinier, jusqu’au panier avec son encas, que les fourmis honoreront durant la nuit. Il ne gardait que le parchemin que lui avait cédé Uriel.
Vos paroles ne me choquent pas. J’ai appris depuis longtemps à ne plus avoir peur du mystère. Le mystère s’apprécie tel quel, avec son lot d’inconnues et d’incompréhensions, ou bien il s’étudie, au risque de prendre des formes nouvelles, corrigées, un peu différentes de ce que les a priori nous avaient induits. Qu’est-ce donc que la Vérité ? L’inscription dans le marbre d’une idée dont on ne maîtrise pas la genèse, ou bien la genèse que l’on maîtriserait de toutes les idées ? Je suis résolument convaincu que l’étude théologique est le chemin vers la connaissance exacte et précise. C’est justement le principe fondateur de l’Ordre Grégorien, et la raison pour laquelle j’ai souhaité restaurer cette communauté.
Poussant la petite porte du jardin qui donnait sur le cloître, le Cardinal invita Uriel à entrer.
La seule raison pour laquelle ma flamme ne s’est pas éteinte… pas encore éteinte… c’est qu’il m’est donné de croiser des personnes comme vous, presque accidentellement, qui me donnent à espérer que je ne suis pas seul, à croire, à douter, à essayer, à imaginer que de grandes choses peuvent être accomplies. Car seul, je ne saurais imaginer aboutir à rien du tout.
Alors qu’ils marchaient dans le cloître, le Cardinal arrêta Uriel.
Mais il se fait tard… Songeriez-vous vraiment à reprendre le chemin dans l’obscurité ? Ne feriez-vous pas mieux de rester pour la nuit ? Vous profiteriez ainsi d’un repos salvateur et pourriez repartir demain au plein jour, en toute sécurité. Cela vous permettrait également d’assister à la cérémonie de consécration de l’abbaye, ainsi qu’à la prestation de serments des membres. Vous seriez ainsi témoin du réveil de ce rêve.
Après un silence, et accompagné d’un sourire :
Et qui sait, peut-être vous laisseriez-vous tenter à votre tour et… vous engager solennellement…
Alors que le frère Escabèche trainait la patte dans le cloître, portant un sacs de farine en direction des cuisine, le Cardinal l'interrompit.
Mon frère, voudriez-vous bien préparer une cellule pour notre hôte ? Et veiller à ce qu'il ne manque de rien ? _________________
Son Éminence Adelène de Kermabon - Cardinal de Saint Nicomaque de l'Esquilin - Archevêque de Bordeaux |
|
Revenir en haut de page |
|
 |
uriel

Inscrit le: 31 Jan 2009 Messages: 3736
|
Posté le: Ven Fév 28, 2025 9:21 pm Sujet du message: |
|
|
Eût-il eu ce genre de discussion dix ans plus tôt, son destin en eût été modifié. Mais ce qui était fait était fait, et nul ne pouvait plus rien y changer. Uriel n'était plus le même, pour le meilleur selon certains, pour le pire selon d'autres—tout dépendait du regard porté sur lui, de cette "vérité" toujours sujette à interprétation.
Il écouta le cardinal et acquiesça. Le Dogme, après tout, n'était que des textes écrits par des hommes, pour des hommes. Fallait-il les prendre pour parole du Livre des Vertus ou bien n’étaient-ils qu’un reflet, déformé au fil des siècles, de la Vérité première ? En revanche, les écrits d'Aristote, eux, lui semblaient plus proches de la pensée du Sage, malgré les inévitables erreurs de traduction et de recopie.
Ce qui le rassura néanmoins, c’était la teneur même des paroles d’Adelène, car les siennes glissaient parfois sur le fil du rasoir de l’hérésie, il n'aurait guère été troublé d’être accusé d’hérétique ... Mais il eût été dommage de s'arrêter à un simple procès d’intention. Lui-même n’avait jamais fui ces discussions, pourvu qu’elles fussent constructives.
Était-il convaincu que l’étude théologique fût la seule voie vers la connaissance ? Non. Mais il fallait bien commencer quelque part, et à n’en point douter, elle avait une importance capitale. Soit, c'était un autre débat, qui n’avait pas sa place ici.
Ils s'avancèrent vers le cloître, où l'air était plus doux, protégé des vents froids de la nuit.
Sachez que je suis heureux que notre échange vous soit aussi profitable qu'à moi. Le hasard fait parfois bien les choses... D’un simple courrier sur un disparu, nous voici à disserter sur les mystères du Monde. Parfois, le destin est extraordinaire.
Il marqua une pause, observant les ombres qui dansaient sous la lumière vacillante des torches.
Une fois encore, je partage votre avis. J’ai toujours cru que chacun peut accomplir de grandes choses, pour peu qu’il en ait la volonté… et l'opportunité.
Bien qu’il ne redoutât ni la nuit ni la route nocturne, il n’allait pas refuser l’invitation du cardinal.
Fort bien, je vous remercie de m’accueillir cette nuit. Je resterai également demain pour la consécration. À vrai dire, ce sera une première pour moi : si j’ai déjà assisté et procédé à des consécrations de chapelles, cela n’a rien de comparable. Ici, c’est un lieu de vie.
Ils croisèrent le frère Escabèche, qu’Uriel salua avant de le remercier d’un signe de tête. Alors qu’ils allaient emboîter le pas au vieillard, Le voyageur posa une main sur le bras du cardinal, l’invitant à ralentir.
Parce que vous m'avez offert l'hospitalité, je vais être transparent avec vous. Car en vérité, je ne crains pas grand-chose, même de nuit... je ne voyage jamais seul.
Sans regarder autour de lui, il murmura quelques mots, que le cardinal comprendrait peut-être. Sinon, il lui traduirait.
* يا أخي، يمكنك أن تكشف عن ذاتك، فالكاردينالُ رجلٌ صالحٌ، ولا أخشى بأسًا في هذا الموضع. سنبيتُ الليلةَ هاهنا، فخذ أنت المضجعَ بينما أغرقُ في التأمل
Un bruit sourd se fit entendre, comme si quelque chose venait de tomber du toit. Une ombre se détacha lentement du néant, glissant dans la lueur pâle de la lune. Il ne fit aucun bruit, pas même le froissement d’une étoffe. Seuls ses yeux, sombres et perçants, reflétaient la lumière, comme deux éclats d’acier dans la nuit.
La silhouette était drapée dans un long manteau sombre, dont les pans, usés par les voyages, se fondaient dans l’obscurité du cloître. Sous le tissu, son corps semblait tendu, prêt à se mouvoir avec la fluidité d’un fauve. Lorsqu’il fit un pas en avant, Uriel remarqua, comme toujours, l’absence totale de son dans sa démarche.
N'ayez absolument aucune crainte, Éminence. Il s'agit d'un ami, d'un frère. Il vient avec moi partout ... croyez bien que le bruit qu'il a fait en descendant du toit était voulu ...
L’étrange individu inclina légèrement la tête en guise de salut, sans un mot. Le vent nocturne souleva brièvement un pan de son vêtement, laissant entrevoir une lame finement incurvée, accrochée à sa ceinture. Une arme bien entretenue, au manche orné d’arabesques subtiles, presque invisibles dans l’ombre.
Il y a peu de chances que vos sœurs et frères de l'Ordre le remarquent… mais sait-on jamais. S'ils vous disent avoir vu un fantôme, vous saurez de quoi il retourne.
Un instant, l'homme aux yeux de nuit croisa le regard du cardinal. Son expression restait impassible, mais une intelligence acérée y brûlait, comme celle d’un homme habitué à observer dans le silence, à analyser, à jauger. Puis il se recula d’un pas, retournant dans l’obscurité du cloître, ne laissant derrière lui que la sensation de sa présence.
Uriel laissa un silence s’installer avant de reprendre d’une voix plus basse :
À Alexandrie, je lui ai sauvé la vie, alors même que je croyais perdre la mienne, frappé d’une affliction mortelle. J'utilisai mes dernières forces pour le remettre sur pied, pensant alors que cette action serait mon ultime don à autrui. Depuis, il me suit ... ou me précède, malgré mes injonctions à poursuivre son propre chemin. Il estime que sa dette n’est pas payée, bien qu’il l’ait honorée mille fois.
C’est grâce à lui que j’ai pu poursuivre mes voyages : d’abord vers le Sanctuaire Taurin, puis jusqu’à Boukhara, sur les chemins qu'emprunta de Marco Polo, avant de partir pour Khitaï **… et enfin, bien plus tard, pour le Pays de Bod ***, où j’ai passé tant d’années dans les monastères de l'Himalaya.
Un sourire fugace effleura ses lèvres. Il aurait pu parler de ces contrées et de ses périples des heures durant, mais le cardinal devait se reposer.
Mais il se peut que vous soyiez fatigué.
Si je vous raconte la suite, je n’aurai pas terminé avant le chant du coq.
* Mon Frère
Tu peux te révéler
le Cardinal est un homme de bien
Je ne risque rien ici
Nous allons passer la nuit en ces lieux
Prends la couche pendant que je serai en méditation.
** Khitaï = Chine
*** Pays de Bod = Tibet ; Himalaya = Demeure des neiges |
|
Revenir en haut de page |
|
 |
Adelene Cardinal


Inscrit le: 08 Juil 2020 Messages: 2628 Localisation: Villa Catena
|
Posté le: Sam Mar 01, 2025 10:37 am Sujet du message: |
|
|
Quelques mots prononcés dans une langue inconnue, et voilà qu’une ombre tombe du ciel. Le cœur du Cardinal fit un bond. L’aurait-on conduit tout droit dans une embuscade ? Les pensées fusaient. C’était évident : l’affaire avait dû être orchestrée par cette vieille carne écervelée de préfète du Chapitre romain, qui rôdait depuis plusieurs jours autour de Seclin. Que faire ? Appeler le frère Escabèche à la rescousse ? Le pauvre vieux ne servirait, au mieux, que de témoin. Uriel tenta de rassurer le Cardinal, mais le cœur de ce dernier battait trop vite pour qu’un peu de raison puisse s’installer dans son esprit. Alors, il porta la main à sa ceinture. Il portait toujours, sous l’habit, une dague, depuis qu’il avait été violemment attaqué par des Angevins. Malheureusement, il n’avait jamais eu l’occasion de l’utiliser, et il commençait à douter de l’utilité de ce lien qui trahissait son vœu de non-port d’armes. Lorsque l’ombre tombée du ciel dégaina une lame, il comprit qu’il serait vain de résister.
Puis ses craintes se dissipèrent grâce à Uriel, bien qu’il fût certain que la nuit serait agitée.
Voici une forme… disons… d’apparition spectaculaire. Je dirai au frère Escabèche que, désormais, il ne suffit plus de regarder à travers l’œilleton quand on frappe à la porte, mais qu’il convient aussi de scruter le ciel…
Avec tant d’adrénaline, comment espérer trouver le moindre sommeil ? Aussi, le Recteur désigna son bureau d’un geste de la main. La porte en était fermée, sans quoi on y aurait remarqué le petit âtre maintenu en flamme, ainsi que deux chaises confortables qui semblaient n’attendre que deux paires de fesses pour une conversation au coin du feu.
Eh bien, je dois vous confesser que le sommeil n’est pas mon allié. Et j’aurais grand plaisir à entendre le récit de vos voyages, si toutefois vous peinez, vous aussi, à trouver le sommeil.
Chaque soir, le Cardinal avait besoin de quelques rasades d’hypocras pour trouver un peu d’apaisement et s’endormir. Il ne mentionnerait rien de tout cela. Mais, dans l’intimité de son bureau, il pourrait offrir un verre, voire plusieurs, à son hôte. Car l’hypocras y était conservé, non dans les réserves communes où seul le vin de table était stocké.
_________________
Son Éminence Adelène de Kermabon - Cardinal de Saint Nicomaque de l'Esquilin - Archevêque de Bordeaux |
|
Revenir en haut de page |
|
 |
uriel

Inscrit le: 31 Jan 2009 Messages: 3736
|
Posté le: Dim Mar 02, 2025 1:35 pm Sujet du message: |
|
|
Comment ne pas paniquer face à une ombre semblant surgir de nulle part ?
L'obscurité restait dans le cœur des humains, source de menace ; pourtant, il y avait souvent bien moins de risque la nuit que le jour.
Tel un digne descendant spirituel des ḥašašyīn, il savait soigner ses entrées. Lorsqu'il le pouvait, il devait avoir un sens inné du spectacle et de la mise en scène. Ses sorties étaient aussi efficaces, laissant planer un doute : ce qu'on venait de voir était-il réel, ou n'était-ce qu'une apparition fugace, engendrée par l'alcool ou d'éventuelles drogues affectant les sens ? Ce qui, bien entendu, n'était pas le cas, présentement. Enfin, le plus souvent, la durée de ses scènes – ou plutôt de son unique scène – durait à peine plus longtemps qu'un souffle, le dernier de sa victime, en général.
Cependant, l'héritier des Nizârites n'était pas ici pour ôter une vie. Uriel ne l'avait jamais vu procéder à ce genre de mise à mort – que le Destin l'en garde. Certes, il l'avait vu tuer des brigands, des voleurs, des animaux – comme ce chat géant dans les jungles indiennes – qui les avaient attaqués, avec une précision aussi mortelle qu'efficace.
Il sourit à la remarque du Cardinal et fut invité à pénétrer dans son bureau. À la confession du prélat, le voyageur hocha positivement la tête, car il était indéniable qu'il ne fallait pas dormir beaucoup quand on occupait une charge cléricale de cette envergure. Il le savait que trop bien.
S'inclinant respectueusement, il refusa l'hypocras, pourtant si délicieux avec ses épices au goût suave et son parfum de miel et de cannelle, cette épice de luxe à cette époque.
Merci, Eminence, je n'ai déjà que trop abusé d'alcool tout à l'heure...
Abuser était peut-être un peu fort, puisque, au final, il n'avait bu qu'un seul verre.
Je ne prendrai que de l'eau. Quant au sommeil... je ne dors que très peu et ne souffrirai aucunement de passer un peu plus de temps avec vous, ce que je vous remercie de m'accorder.
Prenant place sur un siège de bonne facture, il s’imprégna de la chaleur réconfortante et de la lumière orangée du feu dans la cheminée, qui dansait dans un mouvement presque hypnotique. L’air était empli de l’odeur boisée du chêne qui crépitait dans le foyer, apportant une sensation de confort, mais aussi de vulnérabilité. Les ombres des meubles, longues et déformées, semblaient se fondre dans la pénombre des coins sombres de la pièce.
Bien...
... Ainsi, si je perdis confiance en l'Institution qu'est l'Église Aristotélicienne, ma Foi demeurait, elle, intacte ... mais ça n'allait pas durer ... . La lassitude m’avait gagné, la maladie avait fait son apparition sur mon corps encore jeune, sous la forme d'une lèpre non contagieuse, contractée lors de ma première visite à Alexandrie.
À l'époque, j'interprétai cela comme une épreuve, envoyée par l'Ombre, pour m'éloigner du Très-Haut. Ne voulant déranger personne, je renonçai – dans une lettre que vous avez peut-être lue – à l'intégralité de mes charges, titres et dignités. En effet, je n’en aurais plus besoin pour terminer ce voyage.
Il marqua une pause, se rappelant les courriers si amicaux qu'il avait reçus, empreints de remerciements et d'encouragements, mais aussi de tristesse et parfois de dépit. Ses pensées se dirigèrent alors vers la vue du port de la cité mamelouke, l'air salé et brumeux s'infiltrant dans ses narines, les vagues battant doucement les quais. Il revit les silhouettes des bateaux, leurs voiles gonflées par le vent, comme des ombres mouvantes sur l'eau.
J'eus le sentiment qu'il fallait que je retourne à Alexandrie, où tout avait commencé et où tout se finirait probablement* ... - et il n'entendit hélas aucune sirène qui chantait de mélodie** - . Mes amis m'emmenèrent, le cœur lourd, et comme un dernier cadeau, m’accompagnèrent dans mon vœu.
Affaibli, mourant, je pris les derniers jours pour visiter la ville, me reposant bien plus que je ne faisais réellement quelque chose. C’est alors que je trouvai cet homme, celui que vous avez aperçu tout à l’heure, furtivement. Il était blessé, mourant lui aussi. Grâce à quelques connaissances en médecine, je parvins miraculeusement à le transporter et à le soigner, prolongeant ainsi sa vie, tandis que la mienne s’évanouissait. Et c’est grâce à des baumes très efficaces, à sa volonté de fer et à sa flamme inextinguible qu’il fut vite remis sur pied.
Il se tut un instant, regardant ses mains. Toujours aussi surpris par ce qui se passa ensuite, les veines étaient désormais fines, presque invisibles, la peau lisse et sans marque, comme si tout ce qui l’avait forgé et subi avait été effacé en un souffle.
Il était temps que je parte... et je lui laissai ce que j'avais emporté.
Le voyageur tourna les yeux vers le sol, son esprit se noyant dans ses souvenirs. Il revivait chaque pas, chaque souffle, comme si tout cela avait eu lieu dans une autre vie, une autre existence.
Je rejoignis le désert, muni d'une tenue simple, d’une gourde et d'un bâton, pour disparaître dans son immensité. Perdu dans cet espace infini, je sombrai dans la confusion. J'errai quelques jours, jusqu’à ce qu’il ne me reste plus d’eau... Je perdis alors toute notion du temps. Je sombrai dans le néant avec cette pensée : "Enfin"...
Et ainsi tout se termina, sans douleur, sans souffrance, et dans la plénitude absolue ... La nuit, calme et sereine, le vide et le silence, comme une mer sans vagues. Puis, comme une lumière s’allumant dans l’obscurité, un point s’éclaira, s’intensifia, puis explosa en une multitude d’étoiles...
J’ouvris les yeux. Ma chambre était bercée par la lueur orangée d'un nouveau matin, les premiers rayons du soleil filtrant à travers les voilages, dessinant des motifs irréguliers sur les murs, comme des ombres vivantes.
... Qui étais-je ? Où était-je ? - à noter qu'il n'y avait pas d'étagère dans cette pièce ...
Étais-je encore lui ? Ou étais-je un autre ? Les picotements dans mes jambes et mes bras avaient disparu, et une étrange sensation de légèreté envahissait mon corps, comme si la vie elle-même avait fait place à quelque chose de plus… essentiel. Je portai ma main devant mes yeux et l’observai… Il n'y avait plus de traces de la maladie, ni de cicatrices, ni même des marques des engelures de Novgorod…
De ma vie passée, je ne me souvenais de rien. Avais-je existé un jour ?
* & ** : librement inspiré des Paroles de la chanson Alexandrie Alexandra par Claude Francois |
|
Revenir en haut de page |
|
 |
Adelene Cardinal


Inscrit le: 08 Juil 2020 Messages: 2628 Localisation: Villa Catena
|
Posté le: Sam Mar 22, 2025 9:22 am Sujet du message: |
|
|
Le Cardinal, qui avait écouté avec attention, et stupeur aussi, avait commencé à se tortiller dans son fauteuil à l’évocation de la lèpre, un mal qu’il convenait sans doute, pour l’homme de foi qu’il était, de considérer comme moins dangereux que la lassitude dans la foi. Pourtant, cette maladie le terrifiait. Il écouta la suite du récit, plongé dans la contemplation, attentif aux moindres paroles du voyageur. Il se rendait compte que, même dans la piété la plus profonde, même dans les plus hauts rangs de l’Église, il était lui aussi, parfois, accablé par cette même lassitude spirituelle, ce vide qui engourdit l’âme.
Le Cardinal se pencha en avant, captivé par la suite du récit, qu’il prit le temps de digérer. Comment un homme pouvait-il, tout en étant au seuil de la mort, trouver un sens, un sens qui, étrangement, lui échappait pourtant chaque jour dans sa propre existence ? La philosophie offre mille façons d’interpréter un tel parcours. Mais ce n’était néanmoins pas ce qui, de prime abord, excitait le Cardinal, qui reprit.
Seriez-vous en train de me dire que vous avez fait l’expérience de la mort, et du retour à la vie, tel qu’il en est question dans le Livre de l’Éclipse ?
Il avait entendu bien des témoignages à ce sujet, mais certains étaient trop fantasques, d’autres très flous, voire obscurs. Il lui était très difficile d’avoir une vision claire sur le sujet, et l’occasion lui était visiblement donnée.
Dites-moi… s’agit-il de cette réincarnation proposée au mortel à l’heure de son trépas ? Avez-vous fait un tel choix ? Et si tel fut le cas, comment, depuis ce désert, vous êtes-vous retrouvé ici, je veux dire en Provence, du moins en Occident ?
S’il ne s’était contraint, il aurait pu assommer n’importe quel géant de ses questions. Il s’en tint à celles-ci pour l’heure. _________________
Son Éminence Adelène de Kermabon - Cardinal de Saint Nicomaque de l'Esquilin - Archevêque de Bordeaux |
|
Revenir en haut de page |
|
 |
uriel

Inscrit le: 31 Jan 2009 Messages: 3736
|
Posté le: Sam Mar 22, 2025 2:17 pm Sujet du message: |
|
|
Uriel n’avait pas son pareil pour – bien humblement – captiver son auditoire, qu’il soit composé d’une ou de dix personnes. Il savait distiller ses paroles, glissant des détails là où il le fallait, jusqu’à satisfaire la curiosité de chacun. Son discours offrait une porte ouverte, laissant à ses interlocuteurs la liberté d’orienter la conversation selon leurs propres centres d’intérêt ou besoins de précision.
Notant que certains points semblaient avoir éveillé une attention particulière chez le Cardinal, il se garda bien de les devancer, attendant que l’ecclésiastique les formule de lui-même. Ce qui ne manqua pas d'arriver.
À sa première question, Uriel secoua doucement la tête.
Non, il ne s’agit pas de cette expérience … du moins, je ne le crois pas.
Il marqua une pause, réfléchissant.
Ceux avec qui j’ai pu échanger m’ont souvent raconté comment ils étaient passés de vie à trépas … avant de se retrouver, parfois on ne sait trop comment, dans le village le plus proche qu’ils avaient visité.
Je peux m'imaginer qu'ils sont récupérés par des voyageurs ou des patrouilles, afin qu'ils puissent être soignés et non laissés à la merci des animaux sauvages.
Il fronça légèrement les sourcils, cherchant dans sa mémoire un détail qui lui aurait échappé.
En toute vérité et honnêteté, je ne sais pas ce qui s’est passé. Si, au fil du temps, les souvenirs me sont revenus, jamais je n’ai réussi à comprendre ce qui s’était réellement produit. Je ne me rappelle pas avoir fait de choix ou rencontré qui que ce soit ou quoi que ce soit.
Un silence. Puis, d’un ton plus mesuré :
Je me suis simplement réveillé à Alexandrie, totalement guéri. Non seulement de cette maladie, mais aussi d’anciennes blessures et cicatrices. Rien ne semblait m’avoir affecté, ni le fléau qui m’avait frappé, ni même ce que subissent d’autres : ceux qui meurent au combat, de faim, ou d’inaction. Toutes les personnes ayant fait cette dernière expérience sont en général convalescents pendant 45 jours, peut-être moins grâce à certaines médications, mais en ce qui me concerne ..., j'étais prêt à repartir, dès mon réveil !
Ses doigts effleurèrent inconsciemment son poignet, où une vieille cicatrice aurait dû se trouver. Ce mystère l’avait toujours hanté. Plus tard, même ses tentatives d’introspection les plus profondes s’étaient heurtées à un mur : une pierre lisse et froide, scellant hermétiquement cette part de son existence.
Il releva la tête et esquissa un sourire fugace.
L’esprit humain est capable de grandes prouesses …
Il peut occulter, refouler, jusqu’à oublier des événements traumatisants. Peut-être ai-je été trouvé aux portes de la mort par une tribu de nomades qui m’a soigné avant de me déposer aux abords de la Cité du Désert … ce qui n'était pas très logique, car ils n'auraient pas pu le guérir en si peu de temps et encore moins effacer ses anciennes blessures - mais c'était la solution la plus plausible ... Ou bien ai-je mis la main sur l’une de ces lampes merveilleuses dont parlent les contes, et un génie aurait exaucé un souhait.
Son sourire s’élargit, teinté d’ironie. Mais il se reprit rapidement, plus sérieux :
Mon sombre ami, qui m’a retrouvé à Alexandrie, avait une autre hypothèse. Il m’a dit que j’avais peut-être croisé la route d’un ʻifrīt, un être supérieur de sa mythologie.
Il haussa légèrement les épaules.
En vérité, toutes les suppositions sont possibles, qu’elles soient d’ordre surnaturel ou relèvent d’un hasard inouï …
Et il fallait bien admettre que la chance l’avait toujours accompagné. Maintes fois, il avait frôlé la mort sans jamais véritablement l’affronter. Cet épisode de son existence – ou de sa mort, selon le point de vue – resterait pour toujours une énigme.
Son regard se posa sur le Cardinal, et sa voix se fit plus posée, presque absente :
Je suis désolé, Éminence. Je ne possède aucune réponse à votre questionnement. Certains mystères insondables nous échappent … et doivent peut-être rester impénétrables ... |
|
Revenir en haut de page |
|
 |
|
|
Vous ne pouvez pas poster de nouveaux sujets dans ce forum Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum Vous ne pouvez pas voter dans les sondages de ce forum
|
|