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[RP] Sur la route de Ferrare

 
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Arnault d'Azayes



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MessagePosté le: Sam Mai 13, 2017 3:15 pm    Sujet du message: [RP] Sur la route de Ferrare Répondre en citant

C'étaient d'étranges voyageurs qui empruntaient ce jour-là les tortueux chemins des Appenins. Une petite troupe de cavaliers hétéroclites, composée de gardes suisses, de mercenaires anconitains et d’un colosse turc, encadrait deux cardinaux romains ne parvenant pas à dissimuler leur peu d’aisance à monter à cheval. Malgré le peu de bagages qu’elle transportait, cette équipée progressait très laborieusement dans cette région rocailleuse.

Arnault d’Azayes était l’un de ces deux voyageurs. Le chancelier de l’Inquisition était connu à travers toute l’aristotélité pour son peu de goût aux voyages, qu’il compensait par l’entretien d’un très dense réseau de correspondants. Ses rares déplacements étaient systématiquement effectués dans une litière suffisamment vaste pour accueillir, en plus de sa propre personne, deux scribes. L’Azayes avait en effet trouvé un ingénieux moyen pour que le temps consacré au trajet ne soit pas du temps perdu : dans cette litière, la correspondance en retard était lue au chancelier qui pouvait également dicter ses propres missives. La plupart du temps, Arnault ne voyait rien du monde extérieur entre la porte de son lieu de résidence et la porte du lieu où il se rendait.

Tout était différent aujourd’hui. On ne pouvait traverser le Appenins en litière. La mort dans l’âme, l’inquisiteur avait abandonné ce mode de transport au pied du long et sinueux massif, et quatre gardes suisses n’avaient pas été de trop pour aider le cardinal, pourtant maigrichon, à se jucher sur un cheval soigneusement sélectionné pour son calme et sa docilité. Et ce n’est qu’après plusieurs heures de route qu’Arnault parvint enfin à avancer à un rythme décent. Les imprécations qu’il avait commencé à proférer dès qu’il avait dû quitter sa confortable litière se turent alors : l’Azayes se surprenait à constater à quel point voyager pouvait être agréable. Pour la première fois depuis bien des années, le cardinal, sans scribe à ses côtés, n’avait d’autre choix que de regarder autour de lui. Il découvrait ainsi les merveilles du paysage italien, pourtant traversé d’innombrables fois en d’autres lieux. Pour une fois, l’homme pressé prenait son temps. Pour une fois, son déplacement n’était pas motivé par sa destination : la finalité de ce voyage était le voyage lui-même. Car ce voyage était une fuite. Une fois hors de la curie, hors de Rome et, l’espérait-il, hors du temps.

Aux côtés de l’Azayes chevauchait, tout aussi peu assuré que son confrère, le duc de Ferrare. Si les deux plus hauts personnages de l’Église avaient entrepris ce périple improvisé, c’était bien pour fuir une atmosphère romaine qui était rapidement devenue nauséabonde. Puisque le but était de s’éloigner de l’Urbs, le fief d’un des deux comparses avait semblé tout désigné pour cette fuite : au sein des États pontificaux, Ferrare était la capitale la plus éloignée de Rome. Le camerlingue élu depuis un mois et demi ainsi que l’archidiacre nommé la veille, bien décidés à reprendre la main après l’échec le plus cuisant de leur carrière, avaient décidé de reculer pour mieux sauter. Ferrare était le fonds de l’océan sur lequel ils cherchaient à enfin poser pied pour que cesse cette noyade et pour pouvoir s’en servir comme d’un point d’appui afin de regagner la surface avec une vitesse fulgurante, une vitesse dépassant encore celle de leur chute soudaine et inattendue, que tous deux considéraient comme extrêmement fugace. Transportés par la détermination et l’optimisme, les deux cardinaux en oubliaient tout le reste : la place laissée libre à leurs ennemis restés à Rome, l’humiliation qu’ils venaient de vivre et l’inconfort du voyage présent. Tant et si bien qu’aucune précaution n’avait été prise : l’escorte avait été composée à la hâte, les bagages réduits au strict minimum et l’itinéraire choisi en fonction de la rapidité du trajet, sans tenir compte d’aucun élément tiers. Mais la soif de vengeance servait de carapace aux deux cardinaux qui auraient ri à la face de celui qui les aurait averti des dangers qui les attendaient. Après plusieurs heures de chevauchée au sein du massif, Arnault interpella joyeusement son compagnon de route :


« - Je crois que nous ne devrions pas tarder à quitter les États pontificaux… Puissent les seigneurs de Florence et de Modène être de meilleurs hôtes que ceux que nous quittons ! »
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Mort des cardinaux von Frayner et d'Azayes
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MessagePosté le: Dim Mai 14, 2017 4:17 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Le regard perdu vers le montagnes, l'esprit abandonné à la contemplation, l'auguste compagnon de voyage du cardinal d'Azayes, bien qu'il eût entendu sa remarque, resta un instant silencieux. L'évocation du climat romain, délétère et oppressant pour le vieil Aymé, lui sembla nouer un noeud supplémentaire à ses entrailles. Pourtant, au fur et à mesure qu'ils s'étaient éloignés de la cité éternelle, l'immense charge pesant sur les épaules du Camerlingue s'était progressivement allégée, et il avait le sentiment, perdu au beau milieu des Appenins, de respirer plus aisément un air plus pur qu'à Rome. En se tournant vers son confrère et ami, dans un souffle il lui répondit :

Espérons en effet...

Et de nouveau, son regard s'éleva vers les montagnes. Il avait au coeur, depuis plusieurs semaines déjà, un fort mauvais pressentiment dont il ne parvenait pas à se départir. Il l'avait jusqu'alors mis sur le compte de l'ambiance exécrable au sein du Sacré-Collège, mais maintenant qu'il s'en trouvait éloigné pour un temps, il ne parvenait plus à l'expliquer. Le vieux grégorien n'avait que peu parlé, durant le voyage : il était certes dans ses habitudes de ne parler que quand cela lui semblait nécessaire. Il exécrait en ce sens les vaines discussions mondaines qu'il avait toujours fui comme la Peste Noire, en ce qu'elles faisaient souvent naître l'orgueil dans les coeurs légers. Mais il y avait autre chose, et il ne parvenait pas à mettre le doigt dessus.

Il ne s'agissait pas non plus des échecs auxquels le cardinal d'Azayes et lui-même avaient été confrontés, d'autant que leur situation, bien que similaire, différait légèrement. Le Camerlingue n'avait pu que pester face à l'aveuglement des cardinaux dans leurs récentes décisions, mais ce qu'il vivait véritablement comme un échec, c'était de n'avoir pas su rétablir au sein du Sacré-Collège l'entente cordiale qui se devait de prévaloir pour garantir la grandeur de l'Eglise et le bon fonctionnement des institutions. Le von Frayner avait été élu sur sa capacité à faire émerger les consensus : et tel était son échec, d'avoir été dépassé par les luttes intestines de la Curie. Le constat l'avait laissé hébété, et après de longues heures de prière, il avait décidé de révoquer le précédent archidiacre afin que, solidement soutenu par l'homme d'expérience qu'était le Grand-Inquisiteur, l'espoir d'un équilibre fût encore permis. Mais l'était-il seulement..?

La compagnie poursuivait son chemin vers Ferrare lorsque, alors qu'ils franchissaient un guet, le Camerlingue frémit : si sa vue le trompait parfois, ses sens d'ancien officier de l'armée lorraine, jamais ; le chemin qu'ils avaient choisi, bien qu'il fût indéniablement le plus court, les exposait dangereusement en de nombreux endroits. Soudain leur escorte lui sembla bien mince, au regard des dangers qu'ils étaient susceptibles d'affronter dans ces montagnes. Inquiet, il décida pour autant de n'en piper mot à l'Archidiacre de Rome, dont l'esprit avait parfois tendance à voir complots et machinations partout. Tentant de se rassurer, il songea également qu'il faudrait être bien fou pour s'attaquer aux deux plus hauts personnages de l'Eglise, après le Saint-Père. Souhaitant chasser ces pensées mortifères, le cardinal ouvrit la bouche pour s'adresser à l'Azayes :


Mon Frère...

Le Camerlingue hésita ; le défilé qu'ils s'apprêtaient à traverser réveilla subitement ses angoisses, et alors qu'il s'apprêtait à poursuivre pour les partager sans délai avec l'Archidiacre de Rome, il aperçut dans les hauteurs quelques vagues silhouettes vêtues de noir ; avant même qu'il eût le temps de crier, il entendit un arc se tendre, et une implacable flèche vint se ficher, dans un bruit sourd, dans l'épaule du vieillard, transperçant avec une facilité déconcertante le vêtement pourpre du prélat. A peine put-il sentir la douleur que le choc projeta son vieux corps décharné à terre, sa tête frappa le sol et soudain, ce fut le noir.
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Arnault d'Azayes



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MessagePosté le: Lun Mai 15, 2017 4:21 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Le silence qui enveloppait les deux voyageurs était particulièrement éloquent. Ces deux hommes n’avaient pas besoin de parler pour se comprendre. En cet instant, ils avaient un même besoin vital : la paix. Leur voyage était une fuite de la guerre romaine, faite d’agitation, de précipitation et de bruit. Le calme, la lenteur et le silence de ces montagnes étaient pour eux un oasis. Un don divin. En ce moment, Arnault en était plus certain que jamais : Dieu était de son côté. Plus longue et lente serait ce voyage et plus il en aurait la conviction. Lorsqu’Aymé l’interpela, le cardinal, qui avait oublié sa paranoïa, ne perçut rien de l’inquiétude du camerlingue, et se tourna vers son confrère avec un large sourire aux lèvres, les yeux pleins d’un sentiment qui était sans doute plus fort que l’amitié. Très vite, le sourire se dissipa et les yeux se chargèrent d'une lueur d’effroi.

Tout s’enchaîna très rapidement. Au bruit sourd de la flèche se fichant dans l’épaule d’Aymé succéda le son plus strident du hennissement du cheval que le Turc projeta en avant afin de faire un écran devant son maître. Alors que ce dernier contemplait le corps inanimé du camerlingue sur le sol rocailleux, il se redressa en entendant une deuxième flèche. Elle lui était destinée, mais son Turc avait anticipé ce tir. Dans son désir de constituer le plus efficace bouclier pour l’Azayes, il ne chercha pas à éviter le trait mais, au contraire, tendit fièrement son large torse. La flèche l’atteint de plein fouet, et une large auréole rougeâtre macula alors son vêtement blanc.

Arnault n’avait que peu de temps pour réfléchir. Son Turc était touché, peut-être mortellement, et le reste de son escorte avait beau l’encercler, il était fait comme un rat. Le premier réflexe de l’archidiacre fut de s’interroger sur la nature de la situation qu’il était en train de vivre : qui l’agressait et pourquoi ? Rapidement, il parvint à la conclusion que le lieu et la nature de l’attaque ne pouvaient conduire qu’à une seule réponse : des bandits de campagne attaquaient deux voyageurs dans le but de les détrousser. Dans un élan d’audace inspiré par la crainte de mourir, le cardinal leva les bras et, mettant à profit ses progrès en langue italienne, hurla :


« Calma! Calma! »

Du calme, du calme. Puisqu’aucun son ni décochage de flèche ne lui avait répondu, il poursuivit alors, s’efforçant de s’exprimer dans un italien correct et compréhensible :

« - Messires, si votre intention est de vous enrichir, aujourd'hui est votre jour de chance. Nous sommes de riches voyageurs, mais nous transportons une bien maigre cassette. L’essentiel de notre fortune est conservée dans des coffres bien gardés dans la lointaine Rome. Nous avons donc intérêt à nous entendre : notre vie nous est chère et nous payerons volontiers le prix nécessaire pour la conserver. Laissez-nous saufs, et nous vous donnerons assez pour ne plus jamais avoir à errer durant des heures dans ces montagnes arides. En revanche, si vos nous tuez, vous ne gagnerez que de quoi vous offrir un modeste repas… et vous subirez d’impitoyables représailles. »

Arnault avait parlé avec une assurance et un détachement qu’il ne se connaissait pas. La peur décuplait littéralement ses capacités. Pourtant, il avait beau contracter ses muscles atrophiés, il ne parvenait pas à empêcher son corps de trembler pendant qu’un silence absolu suivit son intervention. L’esprit de l’archidiacre effectua alors des centaines de calculs : et si son intervention échouait ? Et si Aymé était déjà mort ? Les tremblements augmentaient à mesure que son esprit paranoïaque égrenait les hypothèses mortifères. Ne tenant plus, il intervint de nouveau afin de presser les brigands à se décider :

« - Quelles sont vos conditions ? »

Enfin, un homme s’avança. Les tremblements de l’Azayes ralentirent. Arnault demanda à son escorte de desserrer le cercle autour de lui afin qu’il puisse échanger avec son interlocuteur. Lorsqu’il l’aperçut, ses yeux s’écarquillèrent et son teint devint plus blême que jamais. Celui qui lui faisait face n’était pas un brigand de campagne mais un moine portant l’habit et la croix des jésuites. Ce n’était pas une attaque motivée par l’appât du gain : c'était l'assassinat des deux hommes dirigeant l’Église. Alors qu’il comprenait qu’il s’était fait berner, Arnault vit le moine tendre son arc et lui décocher un trait si puissant qu’aucun membre de son escorte ne put intervenir. Le cardinal ne chercha pas à éviter la mort : Dieu avait visiblement décidé de le rappeler à Lui, et il l’acceptait.

C’est ainsi que mourut Arnault d’Azayes. Après une vie solitaire et querelleuse, il quittait le monde d’en bas aux côtés de son frère et en paix.

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MessagePosté le: Lun Mai 15, 2017 9:22 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Pendant ce qui sembla une éternité, à la violence du fer qui s'entrechoque, au bruit sourd des flèches que l'on décoche, succéda un silence de mort. Gisant au sol, couvert de son propre sang qui s'écoulait encore des diverses plaies qui marquaient son corps, Aymé von Frayner respirait pourtant encore. Un mince filet de sang s'échappait de sa bouche, tachetant sa barbe blanche, à chacune de ses infimes respirations : celles-ci apparaissaient, au regard de son état, comme un véritable don du ciel. De longs instants durant, alors que son esprit vagabondait entre l'ici et l'au-delà, il se demanda si telle était la destinée de l'âme une fois qu'elle avait quitté son enveloppe corporelle. Etait-ce donc cette douleur lancinante qui semblait ne pas vouloir disparaître ? Etait-ce cette peine immense d'une perte qu'il ne pouvait expliquer encore ? Seigneur... Tes Prophètes auraient-ils menti ? se demanda le vieux moine ; il sentit soudain sa main, ses doigts : quelque chose tirait dessus avec violence et détermination, une fois, deux fois, plus encore. Le vieillard sentit alors le sol, froid et rocailleux, et les plaies béantes de ses blessures. Non, il n'était pas encore mort : lui-même en prit conscience.

Et en même temps qu'il reprenait conscience, la douleur se fit plus vive encore, lui arrachant un gémissement. La flèche ennemie qui avait transpercé son épaule ne lui laisserait assurément pas de répit, et à l'instant même où il ouvrit les yeux, il se sut condamné. Il eut un bref mouvement de panique, causé aussi par l'impossibilité de discerner ce qui l'entourait. Avait-il été fait prisonnier ? Etait-il même seul ? Il fallut de longs instants pour que, bien que floue, une vision partielle lui revienne ; il n'était pas seul, mais son compagnon d'infortune n'était pas celui auquel il s'attendait de prime abord : près de sa main se trouvait dressé un aigle majestueux : sans doute était-ce lui, emblème des von Frayner, qui avait tiré à plusieurs reprises sur la main du cardinal. Les yeux de l'homme croisèrent celui du rapace qui s'envola aussitôt et se percha non loin, guettant son heure.

Alors, reprenant ses esprits, Aymé se redressa. La douleur lui arracha un cri, mais il tint bon, et aussitôt son regard fondit sur le cadavre pourpre qui trônait sur le charnier, non loin de lui. Le cri qu'il venait de pousser, mû par la douleur, n'était rien au regard du hurlement funeste qu'il poussa à cet instant. Son ami le plus cher, son confrère le plus fidèle, gisait là, sans vie : la peine envahit le coeur du vieillard, de lourdes larmes montèrent à ses yeux et il tenta de courir près du cadavre de l'Azayes mais la douleur l'en empêcha et le fit chuter lourdement, dans un nouveau cri de détresse. Le corps secoué de hoquets, qui faisaient se mouvoir la flèche enfoncée dans son épaule et intensifiaient la douleur, le von Frayner leva les yeux vers le ciel et hurla, d'une voix caverneuse :


Pourquoi, Seigneur ?! Pourquoi ne suis-je pas mort, moi aussi ? Que veux-tu encore de moi.. sa phrase se conclut dans un sanglot. Il resta silencieux pendant un temps puis, reprenant ses esprits, se leva de nouveau. Se déplaçant lentement, il s'approcha des cadavres épars : le Grand-Inquisiteur n'avait pas la moindre chance de survivre à une telle attaque, et il était mort les yeux entrouverts, contemplant le Tout-Puissant droit dans les yeux à l'heure de son trépas. Alors Aymé, dans un geste doux, ferma les paupières de son ami, laissant sur elles un mince sillon de sang. Puis il se tourna vers les autres cadavres : l'escorte avait été décimée. Mais au milieu des morts s'en trouvait un que le Camerlingue ne reconnaissait pas et qui, vêtu régulièrement, portait en guise de croix pectorale le soleil enflammé des jésuites. Le ventre du prélat se noua et son poing se serra. Ils paieraient, dans le siècle ou devant Dieu, se promit le cardinal. Son regard se porta alors sur un écritoire qui était tombé au sol, sans doute après qu'une des montures se fut débarrassée de son chargement : tout fut clair.

Mais alors qu'il s'apprêtait à l'ouvrir, il crut entendre derrière lui le galop d'un cheval. S'allongeant afin de se dissimuler auprès des cadavres, il entendit un cavalier seul approcher, jurer bruyamment et mettre pied-à-terre. Il ne s'agissait donc pas d'autres adversaires venus achever le Camerlingue ; celui-ci se redressa et reconnut l'un des messagers du Saint-Siège qui, en le voyant, courut à sa rencontre. Alors qu'il l'aidait à se redresser, le serviteur lui dit :


Vot... Votre Eminence, je venais vous apporter un document de la plus grande importance... Mais...

Mon enfant, l'interrompit le cardinal, cela n'a plus d'importance, désormais. Il ne me reste que quelques instants à vivre, et le Tout-Puissant m'a montré ce qu'il me reste à faire. As-tu de la cire, sur toi ?

Le messager, hésitant, finit par acquiescer et tendit au Camerlingue un bâton de cire. Merci, mon fils, lui répondit le von Frayner, il te faut demeurer près de moi le temps que j'écrive. Efforce-toi de faire du feu, en attendant. J'ai terriblement froid...

Alors, en dépit de la douleur lancinante et de la position peu confortable dans laquelle il se trouvait, le cardinal rédigea une lettre aux Fidèles, afin de les implorer d'aider l'Eglise à retrouver la voie qu'elle avait perdue, afin de leur révéler l'ampleur du mal qui la rongeait de l'intérieur. Le von Frayner avait échoué dans sa tâche, mais peut-être sa mort permettrait-elle aux hommes de comprendre l'urgence. L'espoir était infime, mais il était. Au fur et à mesure que la plume grattait le vélin, il sentait ses membres se glacer, s'engourdir. Regardant de nouveau vers le ciel, il murmura :

Seigneur, laisse-moi le temps !

Sa main laissait, alors qu'il continuait d'écrire, de larges traces de sang sur le parchemin. Ne restaient que quelques mots, mais déjà le souffle venait à lui manquer. Appelant d'un signe le messager, il lui demanda de faire couler sur le parchemin quelques gouttes de cire après l'avoir chauffée près du feu. Puis il apposa son sceau, qui se trouvait prendre la forme d'une de ses bagues. C'en était fait : peut-être déjà le destin de l'Eglise, qui désormais n'avait plus ni de camerlingue ni d'archidiacre, était scellé. Mais quelques forces semblaient encore lui rester, alors avant de remettre sa missive au messager et de lui donner ses instructions, il se saisit d'un autre parchemin et le gratta, plus hâtivement cette fois. Il ne le scella pas, mais les tendit tous deux au messager, et lui dit :

Il est impératif que tu parviennes à Rome avec ces deux lettres, quel qu'en soit le coût. La première, après l'avoir fait reproduire, tu l'afficheras en place d'Aristote, près des publications de l'Eglise. La seconde, tu la porteras à Tibère de Plantagenêt, il saura quoi en faire. Maintenant, va ! Mon heure est venue...

Congédiant d'un geste le messager qui ne demanda pas son reste, le vieux prélat attendit qu'il fût parti pour se tourner de nouveau vers Arnault. S'agenouillant près de lui, alors qu'il sentait que ses forces l'abandonnaient, il s'abandonna lui-même à d'ultimes prières. Il pria alors, aussi fort qu'il put, pour le Salut de l'Eglise, pour le Salut de l'âme d'Arnault, pour son propre Salut. Toute sa vie, il avait été confronté par le Tout-Puissant à de nombreuses épreuves qui l'avaient fortifié et vieilli à la fois. Omnes vulnerant, ultima necat : les yeux fermés vers l'infini, auprès de son ami pour l'éternité, c'est ainsi que mourut Aymé von Frayner. Si à cet instant quelque homme l'avait vu, il aurait pu remarquer un mince sourire sur ses lèvres décharnées : mais seul l'aigle l'observait et, comme s'il avait saisi que le cardinal n'était plus, il s'envola vers le ciel dans un grand battement d'ailes.
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MessagePosté le: Lun Mai 15, 2017 10:05 pm    Sujet du message: Répondre en citant

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